Arménie-Azerbaïdjan : escarmouche ponctuelle ou conflit potentiel ?

Arménie Azerbaijan conflit

Article paru sur Latribune.fr le 28 juillet 2020

Les bombardements échangés la semaine passée entre ces deux pays sur leur frontière rappelle les combats précédents. Ils sont pourtant très différents de nature. La prise de position de la Turquie alimente les tensions et complique davantage la situation au sud Caucase. Quelles sont les réalités et que faut-il attendre de cette situation ?

En tout premier lieu, il convient de s’arrêter sur la géographie de ces échanges de bombardements. Il a été très étonnant de lire dans certaines publications, ou d’entendre sur des chaînes de télévision, que ces affrontements entre Arménie et Azerbaïdjan se déroulaient à nouveau dans la région du Haut-Karabagh. Si cette région est, certes, un enjeu de souveraineté entre ces deux Etats, depuis très longtemps, et fut en conséquence le lieu d’intenses combats, entre-autre dans les années 1990, les bombardements de ce mois de juillet ne se sont absolument pas déroulés dans cette région. Le Haut-Karabagh se situe en effet au sud-est de l’Arménie, alors que les affrontements récents viennent de se produire à la frontière nord-est des deux Etats. Environ 300km séparent les deux régions. Il est nécessaire de souligner à nouveau que la zone de bombardement de ces derniers jours n’est l’objet d’aucun conflit de souveraineté territoriale.

Les explications possibles

Il y a plusieurs types d’explication possible, soit la volonté d’un des deux pays d’agir militairement, soit une forte influence extérieure, ou enfin l’erreur d’appréciation ou de comportement militaire d’une des deux parties.

On peut imaginer, premièrement, que dans une situation économique nouvelle, liée à la pandémie, l’Etat azerbaidjanais ait voulu détourner vers l’extérieur l’attention de sa population. La baisse conjointe de la consommation et du prix du pétrole se traduit pour Bakou par une baisse très significative des recettes pétrolières, donc de ses recettes budgétaires. La diminution de l’activité économique en ce premier semestre requiert, au même moment, un support budgétaire de l’Etat. Dans l’Histoire, les situations sont nombreuses où des gouvernements ont décidé des actions extérieures, mobilisatrices du sentiment national, pour faire oublier à leur peuple des difficultés économiques intérieures.

Du côté arménien, un tel schéma est très hautement improbable, puisqu’Erevan n’est pas à la tête d’une économie dépendante de la commercialisation d’une matière première. L’Arménie n’a donc pas à faire face à une baisse exceptionnelle de ses recettes, à l’exception du tourisme.

Deuxièmement, il est possible de formuler l’hypothèse d’une influence et d’un encouragement turc, soutien de l’Azerbaïdjan. La Turquie met en effet en œuvre, depuis plusieurs années, une politique de déploiement régional global, avec ses interventions militaires en Syrie, en Libye, en Irak, et ses opérations de prospection énergétique en Méditerranée orientale. De plus, Ankara conduit en parallèle une politique très duale avec Moscou, entre affrontement, comme on peut le constater en Libye, et une forme de coopération en Syrie. La rivalité turco-russe ne date pas d’aujourd’hui, et s’exprime aussi actuellement dans le sud-Caucase, puisque la Russie soutient l’Arménie, tandis que la Turquie est aux côtés de l’Azerbaïdjan.

Enfin, troisièmement, on peut envisager l’hypothèse d’une « erreur » de manœuvre ou d’appréciation des forces militaires d’un des deux pays. La zone de bombardement se situe en effet dans une bande de « no man’s land » et une erreur opérationnelle peut, humainement, intervenir. D’après les informations en notre possession, c’est cette dernière explication qu’il convient de retenir, une opération de patrouille azerbaïdjanaise, mal conduite, dans cette bande de terrain a abouti à l’escalade des bombardements.

La situation actuelle

La réaction arménienne a été particulièrement meurtrière, puisqu’un général azerbaïdjanais a été tué, ainsi que plus de dix soldats et officiers. Cette situation a poussé la population à fortement réagir en déclenchant des manifestations à Bakou, devant le Parlement. Le Président azerbaïdjanais Aliev a fermement demandé à ses forces de police et de sécurité de reprendre rapidement la situation en main, afin que ces manifestations ne dégénèrent pas. L’hypothèse d’une attaque planifiée, devant aboutir à une escalade voulue par l’Azerbaïdjan, ne peut donc pas être retenue. Dans ce cas, le pouvoir à Bakou aurait encouragé les manifestants à étendre leurs actions, afin de donner une base populaire à une opération militaire d’envergure, contre l’Arménie. Force est donc de constater, à travers les décisions prises par Bakou, que l’Azerbaïdjan ne souhaite pas continuer une action militaire locale, ni en conséquence développer une action militaire plus large. Première raison pour laquelle nous ne devrions pas voir d’escalade.

Il faut également rappeler que l’Arménie est membre de l’OTSC, Organisation du Traité de Sécurité Collective. La Russie et cinq autres Etats membres, régionaux, sont donc collectivement responsables de la sécurité de l’un d’entre eux. Si l’Arménie venait à être réellement attaquée, la Russie serait donc conduite à intervenir. Etant donné les différents fronts intérieurs et extérieurs sur lesquels Moscou est amené à agir actuellement, il est très probable que Vladimir Poutine ne souhaite certainement pas en ajouter un nouveau. La Russie fera donc tout ce qui est en son pouvoir, politiquement, pour dissuader Ankara d’attiser la tension entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et à fortiori déclencher un conflit. Deuxième raison pour que les bombardements du 2 juillet ne se transforment pas en escalade militaire.

Les conséquences pour les deux pays

La réaction militaire arménienne, rapide et percutante, a logiquement donné un regain de popularité au gouvernement et au Président.

Du côté azerbaïdjanais, la situation est beaucoup moins positive. Aux pertes humaines, il faut en effet ajouter des pertes en matériel dont un drone Hermès 900 de fabrication israélienne, abattu par la défense anti-aérienne arménienne. Au-delà du militaire, c’est sur le plan politique que le bilan est difficile pour l’Azerbaïdjan. Le Président Aliev encourage en effet son peuple, depuis des années, à se dresser contre l’Arménie. Or au moment où une action militaire semble se développer contre ce voisin détesté, il se trouve obligé, certainement avec les encouragements de Moscou, de faire machine arrière. Dans une telle situation, il est absolument nécessaire de désigner un bouc-émissaire, pour essayer de protéger politiquement le Président. Le ministre des Affaires Etrangères, par son limogeage, jouera ce rôle. Le bilan azerbaïdjanais est donc très négatif.

Ce brusque regain de tension qui ne devrait donc pas logiquement dégénérer a conduit la communauté internationale à se soucier des relations entre ces deux pays. Ne serait-ce pas l’occasion de donner une impulsion nouvelle à la résolution de la question du Haut-Karabagh ? Plus de 150.000 personnes, de culture et de langue arménienne vivent dans cette région. C’est une décision de 1921, unilatérale, soviétique, qui a attribué ce territoire arménien à l’Azerbaïdjan. Un siècle plus tard, cette modification de frontière, injustifiée, est toujours au cœur des relations entre l’Arménie et son voisin. La communauté internationale, si elle ne veut pas assister un jour à une réelle escalade militaire dans le sud-Caucase se doit de résoudre, politiquement, par la négociation cette situation. Pourquoi le droit à l’auto-détermination ne serait-il pas applicable ?

La France dispose d’un savoir-faire dans ce domaine. Elle est membre du « groupe de Minsk » en charge avec les Etats-Unis et la Russie de la résolution de cette question. Paris n’aurait-il pas un rôle spécial à jouer ? Les bombardements échangés entre Arménie et Azerbaïdjan en ce début juillet, ne seraient-ils pas un rappel qu’il est grand temps d’agir ?