M. Biden, s’il vous plaît, reprenez Kaboul

Biden Taliban

Par Gérard Vespierre

De la provocation dans ce titre ? oui, un peu… mais essayons de décrypter la situation qui se prépare en Afghanistan et au-delà. De très nombreuses capitales, et pas des moindres, sont en effet concernées si le régime Taliban devait se réimplanter à Kaboul.

Dans la phase de retrait final des troupes américaines, et de ses alliés de l’Otan, il est de bon ton d’adopter une attitude de satisfaction devant le retrait stratégique des Etats-Unis. On se réjouit volontiers de voir, une nouvelle fois, Washington se retirer d’un pays après un longue et intense présence militaire, après le Vietnam et l’Irak.

Mais, que va-t-il se passer après ?

Les grandes inquiétudes afghanes

L’Afghanistan est une grande mosaïque tribale, à laquelle vient s’ajouter maintenant une différence marquée entre les principales villes et les campagnes. C’est en effet dans les villes que les populations ont été le plus exposées à l’empreinte occidentale, à travers l’économie, l’éducation (en particulier des jeunes filles) le travail des femmes, et la diversité de la vie médiatique et sociale.

Si les gains territoriaux des Talibans s’amplifient dans les provinces, un jour ou l’autre se posera la brûlante question de leurs actions dans les centres urbains. La population aura alors le terrible choix de se soumettre, de s’exiler, ou de combattre.

Nous pourrions être à l’aube d’une guerre civile afghane, urbaine, sanglante, et dont l’issue avec le temps ramènera les Talibans aux portes du pouvoir.

Le retour d’une République islamique, radicale, en Afghanistan serait alors un grand danger pour ses nombreux voisins. Plus loin, les radicaux islamistes en Afrique, et en Europe, ne pourraient y voir qu’un encouragement symbolique fort.

Les inquiétudes chinoises

La Chine ne dispose que d’une très courte frontière directe avec l’Afghanistan. Mais le problème n’est pas là. L’inquiétude chinoise autour d’une victoire des radicaux islamiques à Kaboul, s’appelle le Xinjiang, et sa population Ouïghour, musulmane.

Pékin fait face depuis quelques années à une implication occidentale de plus en plus affirmée, sur le sort de cette population. Au nom des droits de l’homme, Washington, Londres, Bruxelles soutiennent les populations Ouïghours dans leur combat contre les « camps de rééducation » et le travail forcé.

Il n’est pas utile qu’un soutien, ou un encouragement religieux musulman, depuis Kaboul, viennent potentiellement rendre cette situation encore plus exposée et difficile à gérer.

Pour Pékin, un régime radical à Kaboul ne serait absolument pas le bienvenu.

Les inquiétudes iraniennes

Autre voisin de l’Afghanistan, mais sur une bien plus longue frontière, 900 km, l’Iran ne souhaite pas du tout que 35 millions d’afghans soient replongés dans une guerre civile. Le principal problème de Téhéran serait de potentiellement faire face à une nouvelle crise migratoire. On estime actuellement à 780.000 le nombre de réfugiés afghans déjà présents sur le territoire iranien.

La situation iranienne, économique et sanitaire, ne saurait accepter de voir ce chiffre approcher ou dépasser le million.

De plus l’État Islamique (EI) poussé en dehors du Califat entre Syrie et d’Irak, s’est progressivement installé en Afghanistan, profitant de l’instabilité du pays.

Or ce mouvement cible particulièrement les musulmans chiites. Sans être le protecteur des 12% de musulmans chiites afghans (la population Hazara) le régime religieux de Téhéran souhaite sans aucun doute que ces membres de la communauté chiite ne connaissent pas un sort difficile.

Les inquiétudes russes

La montée en puissance d’un régime religieux, musulman, à proximité du Caucase ne peut laisser Moscou indifférent.

A l’intérieur de la fédération de Russie, dans la région caucasienne, les populations musulmanes de Tchétchénie, d’Ingouchie, ou du Daguestan, ressentiront certainement favorablement le succès d’un régime religieux musulman, contre une puissance occidentale, chrétienne. Le pouvoir central à Moscou ne peut que se souvenir du combat qu’il a dû mener au cours des 2 guerres de Tchétchénie.

Il ne faut pas non plus oublier que 15% de la population totale russe est de confession musulmane.

Tout succès politique musulman dans la proximité russe est regardé par Moscou avec la plus grande méfiance.

Les inquiétudes occidentales

Nul doute que les Talibans à Kaboul suscitent les plus vives inquiétudes dans la plupart des capitales occidentales.

On peut penser en premier lieu à l’impact potentiel dans la région Sahélienne. L’Afghanistan est certes loin, mais la présence d’Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) est là pour nous rappeler la dynamique islamique dans la région. Au moment où des efforts africains, français, internationaux sont entrepris pour contrecarrer l’action de tels groupes, un succès lointain mais symbolique ne serait nullement le bienvenu.
En Europe même, sans que l’Afghanistan exerce sur les extrémistes islamiques, la même attirance que le Califat islamique de l’EI, un succès politique, religieux, idéologique, des Talibans en Afghanistan apporterait à ces mouvances un vent favorable.

Devant un tel cumul d’inquiétudes, de la Chine à Londres, et de Téhéran à Moscou, sans oublier Kaboul, ne serait-on pas tenté de se tourner (à nouveau) vers Washington et de dire, Monsieur Biden, s’il vous plaît, reprenez, Kaboul…..