Iran : Cécile Kohler et Jacques Paris espions du Mossad ? « Le régime iranien sert son récit et agit en voyou »

Article paru sur La Dépêche le 4 juillet 2025

Accusés d’espionnage au profit d’Israël, Cécile Kohler et Jacques Paris risquent la peine de mort en Iran. Pour Gérard Vespierre, spécialiste du Moyen-Orient, leur sort s’inscrit dans une stratégie de chantage du régime iranien envers la France.

Que vous inspirent les accusations iraniennes contre Cécile Kohler et Jacques Paris, désormais présentés comme des agents du Mossad ?

Je vais vous surprendre : c’est totalement crédible… du point de vue du régime iranien. Cela correspond à leur stratégie. Le système judiciaire, les gardiens de la Révolution et le pouvoir central agissent tous dans une même logique. Après la guerre de Gaza, que l’Iran considère avoir « gagnée », il lui fallait un récit. Celui de la victoire contre l’ennemi sioniste.

Alors, pour montrer qu’ils traquent les espions israéliens, rien de plus simple que de recycler les détenus déjà sous la main. C’est ce qui s’est passé avec nos deux compatriotes. Jusqu’ici, ils étaient juste accusés d’espionnage. Là, on rajoute opportunément une appartenance supposée au Mossad, sans nouvel élément. C’est un message adressé à l’intérieur du pays : « Voyez, on les tient, ces espions d’Israël. »

Mais auparavant, on parlait plutôt d’agents de la DGSE…

Peu importe, au fond. L’objectif du régime, c’est de créer une accusation qui serve ses intérêts du moment. Aujourd’hui, la cible, c’est Israël. Demain, ce pourrait être la CIA ou les services britanniques. Le but, c’est d’ajouter de la pression sur la France. Il y a donc deux niveaux dans cette stratégie : en interne, montrer sa fermeté face aux ennemis ; en externe, utiliser les détenus pour faire pression sur les gouvernements étrangers, ici Paris.

Dans quel but exactement ? Que cherche Téhéran de la part du gouvernement français ?

Plusieurs choses. D’abord, empêcher que la France n’adopte une ligne trop dure contre l’Iran. Actuellement, il y a de vives tensions sur le dossier nucléaire. L’Iran a restreint l’accès de ses sites à l’AIEA. Or, cette défaillance pourrait conduire à un « snapback » : c’est-à-dire un rétablissement automatique des sanctions internationales. Paris pourrait appuyer cette démarche, ce que Téhéran veut éviter à tout prix.

Donc, on parle d’un bras de fer diplomatique ?

Oui, clairement. Mais ce chantage ne date pas d’hier. Ces deux Français n’ont pas été arrêtés par hasard. Depuis trois ans, ils servent de monnaie d’échange. Le régime a anticipé qu’il aurait besoin de pression à exercer sur la France. Il faut sortir de notre vision occidentale du droit et comprendre la logique de force du régime iranien. Là-bas, la force est sanctifiée. Elle est censée venir de Dieu. Elle justifie tout, y compris l’arrestation arbitraire d’étrangers.

Pourquoi la France spécifiquement ?

Parce que la France abrite le CNRI – le Conseil national de la Résistance iranienne – et son bras actif, l’OMPI (Organisation des Moudjahidines du peuple iranien). Pour Téhéran, c’est une provocation permanente. L’OMPI est le principal mouvement d’opposition au régime. Et il est en France. Régulièrement, l’Iran réclame que Paris agisse contre eux. Par le passé, il y a même eu des descentes massives des forces de l’ordre françaises au siège du CNRI. Mais ces accusations de terrorisme ont toutes été rejetées par la justice.

Donc, selon vous, en détenant ces deux Français, l’Iran espère obtenir un geste de Paris contre l’OMPI ?

C’est une hypothèse très sérieuse. Mais ce n’est pas tout. L’Iran veut aussi empêcher que la France ne désigne officiellement les Gardiens de la Révolution comme organisation terroriste. Le Parlement européen l’a déjà recommandé. Mais chaque pays doit prendre cette décision individuellement. La France hésite peut-être à aller dans ce sens de peur de mettre encore plus en danger ses ressortissants détenus. C’est un équilibre instable. Et l’Iran joue là-dessus avec cynisme.

Pourquoi la France n’a-t-elle pas réagi plus tôt, au cours des trois premières années de détention ?

Difficile à dire. Nous ne savons pas ce qui se joue en coulisses. Il y a un ambassadeur iranien à Paris, donc il y a forcément des échanges. Mais leur contenu reste confidentiel.

Peut-on vraiment craindre que l’Iran aille jusqu’à les exécuter ?

Posons la question autrement : si vous avez un moyen efficace de faire chanter un pays, est-ce que vous allez détruire ce moyen ? Non, évidemment. Le régime iranien agit en voyou, mais il n’est pas fou. Il est rationnel, dans sa logique. Tant que ces prisonniers servent de levier, ils seront maintenus en vie.

Mais cette pression ne pourra pas durer indéfiniment…

Peut-être pas, mais l’Iran ne pense pas en termes de long terme aujourd’hui. Le guide suprême, Ali Khamenei, va avoir 87 ans. Le régime vit une période d’incertitude. Alors il fait tout pour tenir, jour après jour. Le mot d’ordre, c’est : « Ali Khamenei sera le dernier guide suprême ». Une manière de dire que ce régime touche à sa fin… mais ce n’est pas encore fait. En attendant, chaque levier compte. Et nos deux compatriotes en font tristement partie.