Iran : Il est fort probable que les protestations se transforment en révolution

interview gérard Vespierre sur l'Iran pour Nacion Agentine

Publié en espagnol dans LA NACION : grand quotidien Argentin le 28 novembre 2022.

Extrait de l’article en espagnol

Découvrez l’article entier traduit en français.

extrait publication sur nacion en espacgnol

Gérard Vespierre : « Il est fort probable que les protestations se transforment en révolution »

L’analyste français, spécialiste du Moyen-Orient, imagine une chute éventuelle du régime islamiste des ayatollahs et parle d’un « divorce idéologique et démographique »

LA NACION
El Mundo
Luisa Corradini

PARIS.- L’ONU a dénoncé cette semaine « le durcissement de la riposte des forces de sécurité » de l’Iran aux manifestations qui secouent le pays depuis la mi-septembre.

Dans le même temps, l’organisation internationale a appelé le régime des ayatollahs à « tous les citoyens détenus dans l’exercice de leurs droits ».

Plus de 70 personnes sont mortes en une semaine sur un total de 416 décès depuis la révolte a commencé, selon l’ONG Human Rights. LA NACION a analysé les causes et perspectives de ce soulèvement avec Gérard Vespierre, spécialiste de la géostratégie, chercheur associé à la Fondation pour les études sur le Moyen-Orient (FEMO) et fondateur du site d’information Le monde décrypté.com.

Quel est votre diagnostic de cette rébellion ? Pourrait-elle se transformer en une révolution ?

– C’est fort probable. Car les causes sont profondes, à commencer par la situation économique.
Il ne faut pas croire que la crise économique en Iran est due à la décision des États-Unis interdisant ou limitant les exportations de pétrole du pays. Depuis de nombreuses années les taux de croissance de l’Iran sont extrêmement faibles. Tout a été difficile pour un pays de 83 millions d’habitants. Sa faible croissance s’est accompagnée d’une forte inflation, durant les 40 ans de la république islamique. Elle était toujours de
10%, 15%, jusqu’à 20%. Il y a eu une légère amélioration pendant une courte période, mais l’interdiction d’exporter du pétrole a relancé cette inflation (qui atteint désormais 40%).

Le problème est que maintenant ce phénomène se produit dans un contexte historique particulier….43 ans de difficultés….

Un autre facteur est le chômage élevé, qui était également en hausse permanente pendant toutes les années de la république islamique. Donc, les Iraniens vivent dans une situation économique difficile depuis longtemps. Si la situation économique avait été bonne, pendant toutes ces années, l’intervention des États-Unis en 2018 n’aurait pas eu un tel impact. Mais comme la situation était mauvaise, cela a fonctionné comme une amplification de la crise.

Peut-on en dire autant du terrain social ?

– L’insatisfaction n’est pas nouvelle. Depuis des années, il y a des grèves, des manifestations de travailleurs mal payés, d’enseignants dont les salaires sont insuffisants, de retraités dont les pensions sont écrasées par l’inflation, d’agriculteurs qui manquent d’eau. Tout le tissu social iranien était installé depuis longtemps dans la rébellion A cela s’est ajoutée la situation des femmes, exploitées, marginalisées dans la société, alors qu’elle représente 60 % des étudiants universitaires. Les femmes iraniennes ont des connaissances, mais elles ont beaucoup de mail à trouver du travail. Elles vivent également une frustration juridique, parce qu’elles sont obligées de subir des contrats de mariage abusifs, comme les divorces. Elle ne peuvent s’habiller comme elles le veulent…… Et cette situation a explosé avec le meurtre de Mahsa Amini, 22 ans, à Téhéran le 16 septembre, qui a agi comme une étincelle qui tombe sur un tas de paille sec. Cela a causé l’incendie actuel.

Quelle est la relation actuelle entre le pouvoir religieux et la population iranienne ?

– A La mauvaise santé de l’économie s’est également ajoutée la réaction contre la corruption qui est profonde dans les structures religieuses. Il y a des fondations en Iran au plus haut niveau qui s’occupent des pèlerinages dans la ville sainte de Qom, il y a 100 séminaires religieux à Qom.. Il y a un véritable état religieux, dans l’État et cela crée des tensions car il y a beaucoup d’argent qui circule et enrichit ce groupe au détriment de la population. Ce sentiment est très fort chez les jeunes. Le problème est que tout pouvoir qui perd sa jeunesse a de sérieux soucis à se faire pour son avenir.

Depuis 2017, ce détachement entre la jeunesse et les structures religieuses a été vérifié par de nombreux experts occidentaux en visite en Iran. Il y avait à Machad à cette époque un responsable religieux, Abdullah Javadi-Amoli, un grand prédicateur de 85 ans, qui dans son prêche du vendredi est allé un jour jusqu’à dire que : « le jour où le peuple se soulèverait, les religieux seraient tous jetés à la mer ».

Le guide suprême de la révolution, l’ayatollah Ali Khamenei, a déjà 83 ans. Même si le régime parvient à calmer le soulèvement actuel, que peut-il faire pour continuer à diriger le pays, avec cet âge avancé et en pensant à un monde qui n’existe plus ?

Dans une société où 50% de la population a moins de 30 ans, il y a un divorce idéologique et démographique. Les dirigeants iraniens ne représentent pas le peuple. Fait 33 ans que Khamenei est au pouvoir en tant que guide suprême. Il était auparavant président de la république pendant sept ans. Autrement dit, il dirige depuis 40 ans cette société qui possède une jeunesse cultivée et une grande histoire, imposant une culture ultra-conservatrice et immuable. Il est inimaginable que cela puisse se poursuive encore longtemps…

Le guide suprême de la révolution, l’ayatollah Ali Khamenei, a déjà 83 ans. Même si le régime parvient à calmer le soulèvement actuel, que peut-il faire pour continuer à diriger le pays, avec cet âge avancé et en pensant à un monde qui n’existe plus ?

– Dans une société où 50% de la population a moins de 30 ans, il y a un divorce idéologique et démographique. Les dirigeants iraniens ne représentent pas le peuple. Fait 33 ans que Khamenei est au pouvoir en tant que guide suprême. Il était auparavant président de la république pendant sept ans. Autrement dit, il dirige depuis 40 ans cette société qui possède une jeunesse cultivée et une grande histoire, imposant une culture ultra-conservatrice et immuable. Il est inimaginable que cela puisse se poursuive encore longtemps…

Alors que peut-il arriver ?

– Je crois que le régime va continuer sa répression et que la répression sera de plus en plus sanglante. Les mouvements politiques à l’origine de la résistance iranienne exigent actuellement que le statut de légitime défense soit reconnu. C’est-à-dire, d’une certaine façon ils demandent aux pays du monde, le droit pour le peuples iranien de s’armer contre les forces de sécurité. Ils essaient de faire comprendre à la population mondiale qu’ils vont, un jour, se défendre avec des armes. Mais que cela sera un un acte défensif. C’est insupportable de laisser tuer garçons et filles de 15 ans, de sang-froid.

Ces mouvements de résistance sont-ils aidés par des pays étrangers ?

– Naturellement. Ils sont « accompagnés » par de nombreux pays, tous particulièrement
intéressés par le changement de régime. Nous n’avons pas à avoir peur de ces choses. L’Europe sera un grand gagnant lorsque ce régime religieux tombera. parce que nous aurons alors des relations normales avec l’Iran, comme c’était le cas à l’époque du Shah. Quel que soit le régime qui viendra après, il sera forcément plus ouvert et démocratique que l’actuel. il y a un tel rejet de la dictature, que le pouvoir politique qui arrivera prendra des décisions contraires à celles en place.

L’Europe pourra même accéder au pétrole et au gaz iranien comme il y a 45 ans. et il n’est pas nécessaire dire que dans ce cas il y a un jeu géopolitique extrêmement important (en raison du chantage exercé par la Russie sur les Européens actuellement). En ce sens, le Conseil National de la résistance iranienne (CNRI) qui mène la rébellion, a un programme en dix parmi lesquels figurent l’instauration de la démocratie, des élections libres et équitables, la reconnaissance du droit des femmes à l’égalité, l’abandon de l’option nucléaire militaire…

Tout cela est dans le programme des équipes qui peuvent arriver au pouvoir, probablement en 2023. Nous aurons un Iran qui sera dans la même position politique mondiale que l’Iran de 1975 avant la révolution de l’ayatollah Khomeini.

Pensez-vous que l’Iran, comme l’affirment de nombreux spécialistes, est très proche d’obtenir le bombe atomique ? Ou est-ce un bluff ?

– Le bluff est le temps. Certains affirment que c’est déjà une réalité, qu’elle le sera dans trois mois ou dans six. Je pense qu’il faut se situer dans un temps moyen. Je ne dis pas ça par prudence intellectuelle, mais l’Iran n’est pas en mesure d’obtenir la bombe atomique demain. Bien sûr, je peux me tromper. Mais cela demande du temps et un savoir-faire technique.

En tout cas, ni les États-Unis ni Israël ne l’accepteront. Les deux pays ont des réseaux d’informations qui leur permettent de savoir exactement ce qui se passe dans ce domaine.

En 7 questions est une série d’entretiens avec des spécialistes pour comprendre le plus pertinents pour le scénario mondial entre les mains de ceux qui les connaissent le mieux.
Luisa Corradini