Iran : négociations nucléaires et crise de pouvoir.

Article paru dans Valeurs Actuelles le 23 mai 2025
Les négociations en cours entre Téhéran et Washington sur le nucléaire ont fait apparaître des options différentes à l’intérieur du régime. De violentes querelles se poursuivent au Parlement, concernant le port du voile. Ces batailles, corrosives pour le pouvoir, s’ajoutent aux échecs extérieurs, et aux profondes difficultés économiques. Le régime pourra-t-il résister longtemps à une telle accumulation de forces déstabilisatrices ? Par Gérard Vespierre, analyste géopolitique, chercheur associé à la FEMO.
Depuis l’arrivée des religieux au pouvoir à Téhéran, leurs décisions politiques n’ont que très rarement fait apparaître des dissentions internes. Mais ces temps semblent révolus.
Nucléaire, le choc du discours et de la réalité.
De profondes contradictions sont apparues au sujet des négociations nucléaires engagées avec les États-Unis. Le guide suprême, Ali Khamenei, exerce un monopole constitutionnel sur la politique étrangère, dont le nucléaire fait éminemment partie.
Il y a deux mois, il rejetait toute idée de négociations avec les États-Unis, la jugeant « ni intelligente, ni sage, ni honorable ». Pourtant, des négociations menées par Abbas Araghchi, ministre des affaires étrangères, viennent de débuter à Oman, et se sont poursuivies à Rome. Ce revirement a stupéfié une partie de l’appareil politique et religieux du régime, incitant plusieurs personnalités de premier plan à mettre publiquement en question la nécessité et la légitimité de ces pourparlers.
Devant cette situation, les journaux proches du guide, comme Keyhan et Javan, ont dans un premier temps condamné toute négociation. Maintenant, soit ils ne les évoquent pas, soit ils vont jusqu’à les justifier. D’autres se moquent de Khameneï qui semble faire le contraire de ce qu’il a dit risquant d’apparaître « ni intelligent, ni sage, ni honorable ». Les crispations sont d’autant plus grandes que les Etats-Unis ont sanctionné, le 12 mai, une structure liée au SPND, Organisation d’Innovation et de rechercher défensive de l’Iran.
Pour la première fois, publiquement, une partie de l’appareil politique et religieux ose se désolidariser du cap politique tracé par le guide suprême.
Pourtant, le dossier nucléaire constitue la clé de voûte du dispositif stratégique iranien. Le guide suprême, constitue l’autre clé de voûte, idéologique et religieuse. Les divergences se situent donc au cœur de l’architecture du pouvoir. Elles ont été précédées de tensions et conflits, dans d’autres strates du système politique.
Le hijab autre source de conflit
209 membres du parlement, le Madjles, ont signé une lettre le 4 mars, exhortant son président Mohammad Baqer Qalibaf à appliquer pleinement la loi « hijab et chasteté ». Les législateurs s’appuyaient sur les déclarations du guide suprême, expliquant que l’application de la loi est cruciale pour maintenir le contrôle idéologique et l’unité du régime.
Or, le président de la République, Massoud Pezeshkian, s’est opposé à cette demande. Le 7 mars, son adjoint, Mohammad-Jafar Qaem-Panah, a annoncé publiquement : « Le président a clairement souligné que la loi sur le hijab ne pouvait pas être appliquée car elle créerait des problèmes pour la population. »
Ce refus d’appliquer les textes a suscité l’indignation dans le monde religieux. Ahmad Alamolhoda, le représentant de Khamenei à Machhad a même accusé le président de la République de trahir la révolution, car: « Refuser d’imposer le hijab est une désobéissance à Dieu. »
Pour les ultra-conservateurs toute concession à la société civile enhardit les adversaires du régime. A l’inverse, des factions plus modérées estiment que l’application stricte de la loi risque de déclencher des troubles généralisés aux conséquences imprévisibles. Partisans ou opposants, sont cependant d’accord sur un point : le régime est en danger.
Ce point de vue est conforté par Ahmad Zaidabadi, analyste politique proche du pouvoir : « Les crises ont pris une ampleur exponentielle et ont atteint un point critique. Les factions rivales ne s’acceptent pas et ne parviennent pas à se convaincre mutuellement ».
La mise en question, de l’autorité absolue du guide, de l’intérieur même du système politique, risque de provoquer un « effet de souffle » sur la société iranienne. Formidable appel d’air, vers les citoyens, pour qu’ils s’engouffrent dans ce rejet de l’autorité suprême, et provoquent par un ultime soulèvement, le renversement du régime.
Le développement d’Unités de Résistance
Depuis environ 5 ans, des cellules de résistance, appelées Unités de Résistance se sont mises en place dans les 31 provinces iraniennes. Elles ont été créées dans le cadre de l’OMPI, Organisation des Moudjahidines (combattants) du peuple iranien. Elles mènent aussi bien des attaques contre les bâtiments du pouvoir, ses supports de communication, que des opérations de promotion de la résistance par tags, et affichage. Leur nombre est en progression constante.
Au cours des 12 derniers mois, ces Unités de Résistance ont mené plus de 3.000 opérations ciblant des bâtiments officiels, et plus de 39.000 actions d’affichage, ou de tag. Des centaines de vidéo sont disponibles et illustrent ces opérations.
Le 11 avril 2025, Ghorbanali Dorri-Najafabadi, ancien ministre du Renseignement, a lancé un avertissement concernant la « menace grave et urgente » posée par l’OMPI, accusant cette organisation d’être l’adversaire le plus dangereux du régime depuis la révolution de 1979.
Si le peuple iranien décide un jour de se soulever de façon organisée, ces Unités de Résistance seront amenées à jouer un rôle de première importance.
La dégradation globale des positions du régime à l’extérieur, et les fissures politiques intérieures, pourraient conduire à cette situation plus vite qu’on ne le croit.