Pétrole américain  : ce que l’on nous fait croire…

Pétrole américain

Article paru sur Latribune.fr le 21 janvier 2020

Les Etats-Unis ont atteint ce mois-ci la production record de 13 millions de barils par jour. Ce n’est pas leur premier record mondial de production, mais le chiffre est rond, impactant et impressionnant. Derrière lui s’exprime une réalité très éloignée des nombreux commentaires habituels sur le sujet. Pétrole américain, ce que l’on nous fait croire, et ce à quoi il faut s’attendre.

Les chiffres sont officiels et proviennent du ministère de l’Energie ou DoE (Department of Energy) à Washington. Plus précisément de l’Agence de l’information sur l’Energie, ou EIA (Energy Information Administration). Le chiffre de 13 millions de barils par jour, publié le 10 janvier, ne représente pas un pic de production sur un seul jour, mais la production moyenne pendant une semaine. Il s’agit donc d’un niveau réellement atteint.

Le graphique ci-dessous, publié par l’EIA, évoquée plus haut, visualise la lente baisse, sur 25 ans (1983-2008) de la production pétrolière américaine, en pétrole conventionnel, et la rapide hausse intervenue à partir de 2010 par la révolution technologique du pétrole de schiste.

Pétrole Etats-Unis

La croissance et le premier rang mondial

Cette croissance, comme le montre ce même graphique, ne fut pas uniforme. Nous nous souvenons de la première réaction de l’Arabie Saoudite, qui décida d’augmenter sa production (2015-2016). Cette stratégie saoudienne avait pour but d’écrouler les prix du baril, et il descendit effectivement sous les 30 dollars. L’objectif était alors de faire sortir du marché « les producteurs non compétitifs », selon l’expression de Riyad, comprenons : les producteurs américains de pétrole de schiste.

Ces derniers ont su réagir rapidement pour abaisser leur coût de production, rationaliser leur exploitation, en diminuant leur production, et rester dans le marché. Ils pouvaient alors reprendre, dans la deuxième moitié de 2016, leur marche en avant.

Hormis cet épisode de réduction de production, les producteurs américains ont su mettre sur le marché, dans la période 2017-2019, annuellement et en moyenne, 1,4 millions de baril par jour, de plus. Cette augmentation de la seule production américaine représentant alors, pratiquement, la totalité de l’accroissement annuel de la demande mondiale….

Ce rythme de croissance allait permettre aux Etats-Unis de redevenir le premier producteur mondial de pétrole, en 2018. Mais ce nouveau leadership n’a jamais permis aux Etats-Unis d’inonder le monde de leur pétrole de schiste.

Les Etats-Unis inondent le monde de leur pétrole

Le nombre de fois où cette affirmation, complètement erronée, a été écrite, ou dite est absolument incroyable.

Le graphique ci-dessous montre la progression des exportations pétrolières. On y découvre tout d’abord, que le démarrage des exportations survient en 2015, soit 5 années après le début de l’exploitation de la technologie du schiste. Auparavant, les exportations étaient proches de zéro ! La raison essentielle de ce décalage réside dans le fait que les producteurs américains, depuis le premier choc pétrolier de 1973, devaient respecter l’interdiction fédérale d’exportation. L’administration Obama a donné le premier coup de canif dans cette législation, en autorisant l’exportation des « distillats légers ».

export du pétrole Etats Unis

Les exportations ont dépassé le cap symbolique d’un million de barils par jour au cours de l’année 2017, donc tardivement. A l’exception de la « miraculeuse semaine » de fin décembre 2019, où les exportations ont dépassé les 4 millions de barils par jour, le niveau des exportations s’est situé autour de 3 millions de barils par jour, en 2019.

Vis-à-vis d’un marché mondial avoisinant les 100 millions de barils par jour, les exportations américaines ne représentent que 3% de la demande mondiale ! Où est l’inondation ? Nulle part. Parler d’inondation, ou continuer d’en parler est, au choix, une erreur d’analyse économique, ou un mensonge à connotation politique.

Les Etats-Unis sont devenus les maîtres des prix

Cette autre affirmation n’a rien à voir non plus avec la réalité. Il faut d’abord intégrer que le prix du pétrole, et ses fluctuations, proviennent de l’addition de l’analyse de trois domaines différents :

  • la situation de l’offre pétrolière (avec ses aléas, accident, mise à l’arrêt, et mise en production de nouveaux champs….)
  • la tendance de l’économie mondiale, et l’apport des nouvelles technologies énergétiques (la demande pétrolière)
  • les aléas géopolitiques, tensions, conflits, sanctions…

Dans une telle configuration de diversités, nul producteur, pas plus les Etats-Unis qu’un autre pays, ne peut, seul, assurer une maitrise des prix, si les mots ont un sens…

En outre, si les Etats-Unis sont devenus le producteur le plus important, devant la Russie et l’Arabie Saoudite, il y a ….17 autres pays dont la production dépasse le million de barils par jour, et qui exercent donc une influence sur le marché à titre individuel.

De plus, il ne saurait être question d’oublier l’association de producteurs qui a nom OPEP…. Les 14 pays membres, représentent 30% de la production mondiale, et les Etats-Unis, seulement 13%.

Ce sont les pays de l’OPEP, renforcée par la participation russe, qui depuis quelques années, gèlent ou baissent leur production afin de stabiliser ou faire remonter les prix du baril… ! L’OPEP avec la contribution russe représente alors plus de 40% de la production mondiale.

Ce jeu stratégique de baisse de la production, mené par l’OPEP et la Russie, contribue à augmenter la part de marché américaine. Les Etats-Unis ont pratiquement doublé, dans les 10 dernières années, celle-ci. De pratiquement 7% en 2010, ils ont atteint 13% de la production mondiale en ce début d’année.

Il ne saurait donc être question de minimiser l’influence des Etats-Unis sur le marché, et d’ignorer leur poids dans la détermination des prix. Mais, en aucun cas, ils en possèdent la maîtrise. L’OPEP et son allié russe contribuent fortement à la régulation de l’offre, donc à la régulation des prix.

Les Etats-Unis sont autonomes en pétrole

Cette troisième affirmation constitue le troisième volet du triptyque d’erreurs sur la situation pétrolière américaine.

Les Etats-Unis restent importateurs de pétrole comme l’illustre le graphique de leurs importations, ci-dessous.

importation pétrole Etat-Unis

Celles-ci se situent actuellement autour de 6 millions de barils par jour. Une raison essentielle, et technique contribue à cette situation. Les raffineries américaines ont été construites autour de « process » optimisés pour des bruts plutôt lourds. En conséquence, les sociétés pétrolières préfèrent alimenter leurs usines avec cette qualité de brut, qui assure un rendement optimal à leurs unités de production de produits raffinés, .

On comprend alors mieux que le Canada, avec son brut lourd, soit le premier importateur sur le marché américain, et que le pétrole de schiste, plus léger soit proposé à l’exportation.

Il faut aussi souligner que les Etats-Unis, certes avec des volumes réduits par rapport aux précédentes décennies, continuent d’importer du pétrole d’Arabie Saoudite (600.000 barils par jour) et d’autres pays du Moyen-Orient pour un total de 1,2 million de barils par jour (statistiques de l’EIA).

L’idée selon laquelle il n’y aurait plus d’importations américaines de pétrole, en provenance de cette région, est donc également une erreur. Mais elle a l’avantage de venir en appui de la thèse (politique) du désengagement américain du Moyen-Orient!

En comparant le niveau moyen d’importation, et le niveau moyen d’exportation, on constate que les Etats-Unis restent un importateur net de pétrole, à un niveau moyen de 3 millions de barils par jour, soit 15% de leur consommation.

Si on met de côté les préférences techniques de qualité, il faudrait dans l’absolu que la production américaine augmente au minimum de ces 3 millions de barils par jour et passe de 13 à 16 millions de barils par jour, pour envisager une autosuffisance… théorique. Est-ce envisageable… ?

Les perspectives à moyen et long terme

Les projections de l’EIA situent l’augmentation de la production 2020 à environ 650.000 barils par jour.

Cette année devrait donc voir un ralentissement significatif de la croissance pétrolière américaine, divisée par 50%. Il ne s’agit nullement d’une baisse de la production, celle-ci va continuer à croître, mais moins vite que dans les années précédentes, où l’accroissement se situait entre 1 et 2 millions de barils par jour d’une année sur l’autre.

Cette nouvelle tendance devrait se maintenir l’année suivante, la production américaine devrait donc atteindre 13,6 millions de barils par jour d’ici la fin de cette année, et environ 14,3 millions de barils par jour fin 2021.

Et après ? On distingue qu’après ce ralentissement, la production américaine se dirigera naturellement vers un plateau, juste en-dessous des 15 millions de barils par jour.

Nous savons que le rendement des gisements de pétrole de schiste baisse plus rapidement que les puits de pétrole conventionnel. Il y a donc une absolue nécessité d’ouvrir toujours de nouveaux puits pour assurer la croissance, ou de développer de nouvelles technologies pour améliorer les rendements des puits existants. Mais ces ouvertures ne peuvent augmenter continuellement, dans les périmètres connus et exploités du sol américain. Il faudrait donc soit que les Etats-Unis découvrent de nouveaux territoires d’exploitation de pétrole de schiste sur le continent (ce qui est peu probable), soit prennent l’option de regarder au-delà du continent, et se dirigent vers le plateau continental, et donc l’off-shore.

Cette dernière stratégie est en train d’être évaluée, et des permis de recherche off-shore sont envisagées sur l’ensemble de la périphérie côtière américaine. Cet ensemble couvre l’Alaska, la côte pacifique, le golfe du Mexique et la côte Atlantique. Les procédures administratives fédérales sont en cours.

Si une telle stratégie était validée, et se révélait positive en termes de nouvelles découvertes significatives, les Etats-Unis seraient alors sur la route de l’indépendance pétrolière, après avoir atteint celle de l’indépendance gazière.

Si ces recherches off-shore se révélaient infructueuses, ou globalement décevantes, la production pétrolière américaine serait alors irrémédiablement amenée à décroître. Mais cette décroissance surviendrait au moment où la demande mondiale en pétrole serait elle-même amenée à plafonner, voire à décroître.

Les années à venir vont donc être particulièrement passionnantes dans le domaine de la stratégie énergétique, américaine et… mondiale!

Mais pour en faire une analyse correcte, il conviendra non pas de se laisser aller à des idées faciles mais d’identifier les faits véritables !