Pourquoi venaient-ils contredire le récit russe sur RT ?

RT France Vespierre
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Article paru sur Arret sur Images le 5 mars 2022

Dominique Trinquand est général à la retraite, Gérard Vespierre est conférencier en géopolitique. Tous deux acceptaient de venir à l’antenne de RT France, y compris au jour de l’invasion russe en Ukraine, lorsqu’ils ont contredit frontalement ses journalistes. Nous les avons interviewés.
Aujourd’hui, le couvercle semble être bien fermé sur Russia Today et Sputnik dans toute l’Europe : les grandes plateformes du web se sont contentées d’une injonction politique pour restreindre l’accès à ces médias d’État russes dans toute l’Europe, les opérateurs télécom ont attendu le texte législatif européen plaçant la coupure des accès sous l’égide des sanctions économiques pour couper la diffusion de la chaîne et l’adressage DNS de ses sites web – c’est-à-dire qu’il suffit de changer de serveur d’adressage pour pouvoir tout de même y accéder.

Jusqu’au mercredi 2 mars et comme elle l’avait toujours fait, la chaîne continuait d’inviter une minorité d’intervenants n’hésitant pas à s’opposer à la perspective informationnelle du pouvoir politique russe qu’avaient tendance à épouser ses journalistes. Au premier jour de l’invasion de l’Ukraine, deux d’entre eux s’étaient particulièrement distingués en plateau : l’ancien général Dominique Trinquand a contredit le matin même la présentatrice de RT affirmant qu’il s’agissait d’une opération militaire limitée, le conférencier et fondateur du Monde décrypté Gérard Vespierre est venu plusieurs jours de suite pour dénoncer l’invasion. Tous deux étaient des habitués de RT France, ils nous racontent leurs expériences. Et nous vous montrons comment, aux premiers jours de la guerre, ils ont imposé les faits à l’antenne.

Arrêt sur images : – Pourquoi acceptiez-vous les invitations de RT France ?

Dominique Trinquand : – Les journalistes étaient très bien, ils voyaient que j’allais contredire mais ça ne les gênait pas. Les invités qui étaient avec moi sur le plateau étaient des journalistes payés pour servir la propagande russe, ce n’était pas possible autrement, mais celle qui m’interviewait me donnait souvent la parole à la fin, pour conclure. En revanche, les invités étaient tous contre moi.

Gérard Vespierre : – J’ai pris le pari systématique, que je vois gagnant, de dire que les auditeurs de cette chaîne n’entendent qu’un son de cloche. Entre le choix de complicité et le choix d’information, je me fous de la complicité car je ne suis pas complice dans le contenu. Est complice celui qui est complaisant et va dans le sens du poil de l’ours…

Arrêt sur images : – Comment analysez-vous vos passages pendant la guerre ?

Dominique Trinquand : – J’ai refusé d’intervenir depuis ma dernière intervention. J’avais tellement de propagande en face de moi que je me suis dit que ça n’allait servir à rien. Parce que je me suis dit qu’ils allaient continuer à propager leur message de toute façon, que je vienne ou pas. Très honnêtement, je n’ai jamais vraiment regardé RT, mais si tout était du même acabit que l’interview que j’ai faite, c’est de la propagande pure et simple. [ASI : – Il était donc normal de l’interdire ?] Ce n’est pour moi pas possible d’avoir sur notre territoire des outils de propagande de ce type. Mais c’était quand même assez suivi par des gens qui voulaient une vision alternative, donc là où on produit un effet inverse en censurant, c’est que les Russes vont s’en servir pour dire que la liberté d’expression est limitée en France.

Gérard Vespierre : – La particularité de la chaîne est effectivement d’avoir un corpus de questions qui sont orientées par rapport aux choix politiques et de communication du gouvernement russe, c’est systématique. [ASI : – Quelle différence par rapport au service public français ?] Les questions sont beaucoup plus ouvertes dans le service public, là, les questions sont architecturées de façon systématique, c’est une méthode. Ma dernière interview sur RT était dimanche (27 février, ndlr), avec des questions plus techniques et descriptives. Mais dans l’interview du samedi dont j’ai vu qu’elle avait beaucoup circulé sur Twitter, les questions étaient agressives, soit maladroites soit mal préparées, pouvant se résumer à « pourquoi ne croyez-vous pas que l’Europe devrait s’abstenir d’envoyer des armes ».