Asie-Pacifique : Bataille économique des 3 géants

bataille-economique-asie-pacifique

Article paru sur lLa Tribune le 3 juin 2022

Fin 2020, a été signé le plus grand accord de libre-échange de la zone Asie-Pacifique, articulé autour de la Chine, connu sous le sigle, RCEP (Regional Comprehensive Economic Partnership). L’inde s’est abstenue. Le mois dernier le Président Biden depuis Tokyo a lancé avec une dizaine de pays asiatiques l’IPEF (Indo Pacific Economic Framework) et l’Inde y participe. L’Indonésie recevra le prochain sommet du G20 en Novembre. Les Philippines viennent d’élire un nouveau président. L’Asie Pacifique est en plein mouvement. Que fait l’Union Européenne ? Que fait la France ?

Le 15 novembre 2020 depuis Hanoï, en visio-conférence, était acté le RCEP, par 15 pays asiatiques, dans le cadre d’une réunion de l’ASEAN, Association des Nations de l’Asie du Sud-Est.

Cet accord de libre-échange impliquait plus de 2 milliards de personnes, et concernait 30% du PIB de la planète. Il impliquait les 10 pays de l’ASEAN- Indonésie, Thaïlande, Singapour, Malaisie, Philippines, Vietnam, Birmanie, Cambodge, Laos, Brunei- auxquels se joignaient, la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. L’inde avait décidé de se tenir à l’écart, dans la crainte de voir les produits chinois, à bas prix, inondé d’avantage son marché.

Négocié depuis 2011, cet accord dont la validité s’applique depuis le 1er janvier 2022, représentait une avancée remarquable pour la dynamique économique et commerciale de la zone, surtout en période de ralentissement des échanges, pour cause de pandémie. Il mettait en place un abaissement progressif, sur 20 ans, des droits de douane. Cette accélération économique ciblait principalement le secteur manufacturier. La Chine, le Japon, et la Corée du Sud, devant logiquement en être les principaux bénéficiaires, avec une progression espérée de 0,2% de PIB selon les estimations du centre américain d’études économiques Peterson.

L’accroissement des échanges commerciaux intra-zone conduisait, en corollaire, à prévoir des baisses d’importations depuis l’Europe et les États-Unis.

La réponse américaine

Cette stratégie menée par la Chine, ne pouvait pas laisser les États-Unis indifférents. La visite du président Biden en Asie a été l’occasion de formaliser la réaction américaine depuis Tokyo. Après une réunion du QUAD, réunissant l’Inde, l’Australie, le Japon et les États-Unis, ces derniers ont annoncé la naissance de l’IPEF (Indo-Pacific Economic Framework, for prosperity).

12 pays autour des États-Unis participent à cette initiative, l’Australie, le Brunei, l’Indonésie, le Japon, la Corée du Sud, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, le Vietnam et….l’Inde….Ce 3ème géant, rejoint donc de façon remarquée cette nouvelle organisation avec naturellement pour objectif de compenser la baisse de ses exportations vers la zone Pacifique, estimée à 2%, liée à son absence voulue au RCEP. Le cheminement Indo-Américain se poursuit à petits pas. Cet accord concerne 40% du PIB mondial !

En précisant qu’il s’agissait de partenaires initiaux, les membres se réservent donc la possibilité d’accueillir de nouveaux bénéficiaires….L’objectif est de créer pour l’ensemble des participants des économies plus fortes, autour de meilleures pratiques commerciales, afin de disposer de réseaux d’approvisionnement plus stables dans cette période de disruption et d’augmentation des coûts. Les flux d’investissements directs, réciproques, entre les États-Unis, et ces pays sont conséquents. Ils se situent dans chaque sens, autour du milliard de dollars pour la seule année 2020. L’innovation technologique représente une priorité particulière, et principalement dans les domaines des énergies renouvelables, et de l’économie digitale.

L’Indonésie pourrait particulièrement bénéficier de ces nouvelles impulsions économiques.

Indonésie, une nouvelle visibilité

Si l’Indonésie « n’est que » la 16ème puissance économique mondiale, elle occupe le 1er rang en termes de population des pays de l’ASEAN, avec presque 270 millions d’habitants ! Sa visibilité mondiale va singulièrement augmenter en fin d’année puisqu’elle accueillera au moins de novembre le G20 dans le cadre privilégie de l’île de Bali.

Si l’on se réfère à la dernière « Note pays » de la Direction du Trésor, l’Indonésie a connu un rebond de croissance de 3,7% en 2021, après la difficulté Covid de 2020, et un repli de 2%. Mais cela s’inscrit dans un cursus de croissance supérieure à 5% au cours des 5 années précédentes ! Et cette croissance supérieure à 5%, revient, comme vient de le préciser à Davos, le ministre de l’économie Airlangga Hartarto : « Bien que nous ayons été confrontés à d’importantes difficultés, nous avons réussi à orienter notre économie vers la croissance, 5,1 % au premier trimestre de cette année pour être précis. En fait, nous avons atteint une croissance plus élevée que celle des autres membres du G20, notamment l’Allemagne et la Chine. »

Le pays bénéficie également de meilleurs résultats budgétaires grâce aux revenus accrus liés à l’augmentation des prix des matières premières, en particulier le charbon. Le gouvernement devrait donc pouvoir remettre en place sa politique de déficit budgétaire limité par la loi, à 3% du PIB. Cela lui avait permis de gagner en crédibilité financière au cours des 15 dernières années, au point d’être classé « pays où investir » depuis 4 ans.

Si la guerre en Ukraine crée un problème vis-à-vis des besoins d’importation de blé, les pressions à la hausse des cours sur ses matières premières exportées, charbon, nickel, huile de palme, sont des facteurs économiques positifs, liés au poids de ces exportations dans l’économie indonésienne.
Géographiquement voisin, Les Philippines constituent aussi une opportunité économique.

Les Philippines, et un nouveau président

13ème pays le plus peuplé de la planète (!) les Philippines regroupent presque 110 millions d’habitants. Avec une moyenne d’âge de 25 ans, il représente une opportunité de croissance. Le taux 2022 devrait s’élever à 6% avec une inflation contenue sous les 3%…. un rapport très enviable….

La nouvelle présidence fera face à un certain nombre de challenges, l’augmentation des recettes fiscales de l’État qui ne s’élèvent qu’à 14% du PIB, et la baisse du chômage qui s’approche des 9%.

Le nouveau président bénéficie d’une réelle dynamique, même s’il est le fils de Ferdinand Marcos, chassé de la présidence après 20 ans de pouvoir. Député, sénateur et gouverneur, il a acquis une réelle expérience du pouvoir politique et bénéficie d’un réel soutien populaire puisqu’il a été élu avec 58% des voix et ….28% d’avance sur le candidat arrivé en seconde position. Désormais détenteur d’un (seul) mandat de 6 ans, il peut insuffler une nouvelle dynamique au pays après les années très autoritaires de Rodrigo Dutertre.

Comme il a pu le dire lui-même il souhaite ardemment être jugé selon ses actes, et non selon ceux de ses ancêtres. Le secteur de la construction devrait connaître un bon développement dans la continuité du plan de son prédécesseur, le BBB « Build, Build, Build » (construire, construire, construire).

Les relations avec les États-Unis ont été restabilisées à la fin des années Dutertre. Elles avaient été mises à mal quand ce dernier avait formalisé une résiliation de l’accord de visite des forces armées américaines aux Philippines. Il s’était finalement rétracté, et les relations sont revenues à la normale avec la visite à Manille, en septembre 2021, du secrétaire d’État américain à la Défense. Les Philippines ont effectivement besoin de l’appui sécuritaire de Washington dans le cadre de son conflit récurrent avec Pékin concernantt des îles Spratleys.

Les États-Unis mènent des stratégies, économiques, sécuritaires, et de partenariat, très actives dans toute la zone Pacifique. Ils appliquent méthodiquement leurs stratégies d’alliances absolument essentielles à leurs yeux, pour contrer la politique chinoise. L’importance déterminante de cette stratégie d’alliance est d’ailleurs sans cesse souligner dans tous les documents du Pentagone et du Département d’État. Mais à cet égard, que fait l’Union Européenne, que fait la France ?

Le choix Européen et Français

Dans cette grande dynamique Indo-Pacifique, les 3 géants, Inde, Chine et États-Unis mènent des stratégies d’initiatives. L’Union Européenne « consolidée » représente le deuxième PIB mondial. A ce titre, et vis-à-vis de cette zone géographique et économique qui devient la première du monde, l’Union Européenne ne peut rester en dehors du jeu.

La position et les intérêts de la France sont aussi dans cette région de première importance pour notre pays. Fort d’une Zone Économique Exclusive (ZEE) de 6,8 millions de km² (!) dans cette seule région Pacifique, il nous faut assoir nos positions, au risque de les voir s’éroder…..
Paris doit donc être le moteur d’une politique européenne vis-à-vis du Pacifique. Il s’agit aussi bien d’un élément de puissance, que de reconnaissance de l’Histoire.

L’Histoire continue d’avancer, de plus en plus vite dans le Pacifique, voire à pas « de géants ». il ne faudrait pas que la France et l’Europe se mettent à l’arrêt.