Elections, en Russie !?
Ne nous laissons pas voler nos mots !

La guerre en Ukraine représente la partie visible et matérielle.

Nous assistons ces dernières années à la montée en puissance de l’affrontement entre démocraties et régimes dictatoriaux. La guerre en Ukraine représente la partie visible et matérielle. Les régimes russes, chinois, iraniens développent aussi des stratégies relevant du cyberespace, de l’influence, et des réseaux de communication. Mais il y a aussi, beaucoup plus sournoise, la guerre des mots. La bataille qui consiste à vider nos mots de leur sens. C’est ce que à quoi nous assistons, sans apparemment en avoir conscience.

L’exemple le plus actuel est la préparation de ce que nous continuons à appeler des élections, dans des pays, tels que la Russie, la Biélorussie, ou l’Iran.
Or, le processus électoral, dans le sens démocratique du terme, requiert son accompagnement d’un état de droit plein et entier des citoyens,
Dans le cadre électoral, il convient que les citoyens qui veulent faire acte de candidature puisse le faire librement, certes dans le cadre de règles, mais qui ne visent pas à l’empêcher de l’être.

Un autre élément structurant d’un scrutin électoral démocratique repose sur la séparation des pouvoirs. Le pouvoir juridique appelé à statuer sur la validité des candidatures doit être séparé et indépendant du pouvoir exécutif.
Le bon déroulement du scrutin, le décompte des voix et la transmission des résultats devant suivre les règles de transparence par la libre implication citoyenne et la non-ingérence du pouvoir exécutif.

Or en Russie, les élections présidentielles à venir ne répondent à aucun de ces critères de libre démocratie. La stratégie de toute dictature, et la Russie n’échappe nullement à la règle, consiste à bâillonner l’opposition, voire à physiquement l’éliminer.

Le traitement de l’opposition dans la présidentielle russe

Plusieurs candidats n’appartenant pas aux partis gravitant autour du système ont tenté leur chance. Une journaliste de 40 ans, Ekaterina Dountsova a rempli et déposé, fin décembre, les formulaires nécessaires auprès de la commission électorale. Cette dernière a donc enregistré sa candidature. Il lui fallait ensuite recueillir 100.000 signatures que la même commission doit valider …une à une….
Mais début janvier, la commission électorale annonce avoir trouvé « 100 erreurs » invalidant le dossier initial de candidature, annulant donc cette dernière.

Plus récemment Boris Nadejdine, homme politique local a déposé 105.000 signatures, soit plus que le nombre requis. La même commission en a rejeté 9.000, invalidant donc sa candidature.
Le décès en prison d’Alexeï Navalny, opposant le plus célèbre à Vladimir Poutine, condamné à 19 ans de prison pour «extrémisme» illustre, hélas, de la façon la plus radicale, le comportement du pouvoir par rapport à son opposition.
Mais il convient de rappeler le sort réserver à Boris Netsov, son prédécesseur en tant que figure principale de l’opposition, abattu en 2015 de 3 balles dans le dos, à 500m du Kremlin. Il s’opposait à l’annexion de la Crimée réalisée un an plus tôt.

Il faut évidemment mentionner le sort réservé depuis plusieurs années à Alexeï Nalvalny, et sa fin tragique, récente, après avoir été condamné à 9 ans de prison pour « comportement extrêmiste »

Devant un tel vécu de pratiques d’obstruction et d’élimination, pouvons-nous continuer à parler d’élection ? Allons-nous accepter le dévoiement de nos idéaux, et de nos principes démocratiques les plus fondamentaux ?

Si nous continuons à l’accepter, nous participons nous-mêmes à notre propre mise en danger. Une telle option est-elle acceptable ?

Ce qui vaut pour la Russie, vaut naturellement pour la Biélorussie qui vient d’organiser le 25 février un scrutin destiné à remplacer les 110 membres de la Chambre des Représentants, et l’Iran qui a procédé à la même opération pour le renouvellement des membres de son parlement, le 1er mars.

Quelles alternatives sémantiques ?

Si l’on considère inapproprié, et dangereux, de dégrader le terme d’élection dans des processus électifs en opposition en tout point avec nos conceptions et pratiques de la démocratie élective, alors il nous faut adopter d’autres vocables.

L’on peut soit s’orienter vers un terme existant, tenant compte du processus électif, mais éliminant le concept de choix, et s’orienter vers le terme, par exemple, de confirmation électorale.
Le candidat est choisi, et validé, par le système politique, il est simplement demandé au peuple de valider et confirmer ce choix, puisqu’aucune alternative est possible. Il s’agit donc d’une confirmation électorale.

Soit l’on peut tenter de créer un terme nouveau, s’inspirant de la pratique électorale, en tenant impérativement compte de son déroulement dans un système dictatorial.
On pourrait alors aboutir au néologisme « électure », et évoquer ainsi, une élection en dictature, une « électure présidentielle ».

Sur le fond, peu importe le choix, ou d’autres. Le plus important est de décider que nous n’acceptons plus de totalement dévaluer nos mots et nos principes démocratiques, pour décrire des processus auxquels ils ne sauraient être assimilés.

Une guerre des mots, existentielle

C’est débuter en quelque sorte, une guerre nouvelle, une guerre du sens des mots, une « guerre du dessous des choses » mais peut-être plus existentielle sur le long terme que l’autre, militaire.

Si nous ne combattons pas, cela revient alors à accepter de construire un univers sémantique, donc un cadre intellectuel de référence, où il y a des démocraties non autoritaires et faibles (nous) et des démocraties autoritaires et fortes (eux), donc un univers où il est dans la norme des choses de la vie, que le plus faible perde.
Cette approche du détournement du sens des mots est construite sur des fondamentaux, ce qui lui assure une grande force d’impact.
L’efficacité de ces constructions est même augmentée par l’utilisation simultanée d’autres lignes d’attaque de notre système de pensée, les réseaux d’influence, les fausses informations et leur dissémination dans les réseaux sociaux.
Il nous faut donc impérativement, identifier ce terrain de combat, la guerre des mots, cette guerre du sens, cette « guerre d’en-dessous » et le porter à l’attention de nos dirigeants politiques et des médias.