Les Houthis, et l’Iran, vont-ils enflammer le Moyen-Orient ?

Ce mouvement yéménite a-t-il l’autonomie et le pouvoir d’amorcer une crise internationale de grande ampleur, ou bien l’Iran est -il le véritable parrain de cette crise ?

Publié dans la Newsletter Contrepoints

Ce mouvement yéménite a-t-il l’autonomie et le pouvoir d’amorcer une crise internationale de grande ampleur, ou bien l’Iran est -il le véritable parrain de cette crise ? La priorité consiste à identifier les racines de cette situation, puis le déroulement des attaques récentes en Mer Rouge. Enfin, vers quelles perspectives, l’intervention militaire des États-Unis, et diplomatique de la Chine, vont-elles faire évoluer cette situation ?

Le mouvement Houthi n’est nullement le résultat d’une génération spontanée, il est le résultat d’un processus historique et d’une rencontre politique contemporaine.

La rencontre de la géographie et de l’Histoire

La première spécificité, géographique, de ce mouvement, est de se situer dans la partie extrême sud-ouest de la péninsule arabique, région très montagneuse de l’actuel Yémen. Ses habitants ont été historiquement, guerriers, caractéristique fréquente des populations montagnardes. Vers la fin du 1er millénaire, l’Empire Perse qui y exerçait son influence, y envoya un religieux afin d’y rétablir la paix. Issu de la branche Zaïdite du chiisme, il y répandit ce courant particulier de l’islam chiite. Cette population montagnarde, et guerrière, se trouva ainsi dotée d’une troisième spécificité, religieuse.
Actuellement leur influence s’exerce sur seulement, un quart du territoire du Yémen, mais celui où se trouve la capitale, Sanaa.

Le basculement de 1979

Cette particularité religieuse d’appartenance au courant chiite, allait représenter une importance particulière pour les Ayatollahs iraniens, chiites, qui prennent le pouvoir à Téhéran en 1979.
La nouvelle stratégie de Téhéran va être dès lors d’utiliser, systématiquement, dans tout le Moyen-Orient, majorité (Irak) ou minorités religieuses chiites, dans tous les pays du Moyen-Orient, au service d’une nouvelle politique iranienne.
C’est dans cette vision stratégique qu’une partie de la famille Houthi, issue de cette région montagneuse et chiite du Yémen, fut invitée à venir vivre en Iran, dans la grande ville religieuse de Qom.

Une quinzaine d’années plus tard, il lui fut proposé de revenir au Yémen. Elle y organisa une montée en puissance politique, et par un jeu d’alliance avec l’ancien président Saleh, prit militairement, le pouvoir à Sanaa, à l’automne 2014.

Téhéran mettait ainsi en place, un pouvoir politique chiite, à la frontière sud de l’Arabie Saoudite, son rival sunnite. Elle s’arrogeait aussi, indirectement, un droit de regard et d’intervention en Mer Rouge, comme elle l’a dans le Golfe Persique. Elle acquérait ainsi une capacité complète de nuisance sur les 2 côtes est, et ouest, de la Péninsule Arabique.

Le regard iranien vers l’ennemi de l’Islam

La stratégie de construction d’un « arc chiite » de Téhéran à Beyrouth en passant par Sanaa, allait être mise au service de l’autre grand objectif de la République islamique d’Iran, la lutte contre Israël.
Dans les années ’70, avant son arrivée au pouvoir, l’Ayatollah Khomeini avait écrit qu’Israël « était l’ennemi de l’islam ». Trois mois après sa prise de pouvoir, il créait en mai 1979, le Corps des Gardiens de la Révolution, et en leur sein, la force Qods (Jérusalem) destinée aux opérations extérieures. Les moyens pour atteindre l’objectif étaient mis immédiatement en place.

En retraçant ainsi toute cette architecture, on constate que l’attaque du 7 octobre est l’aboutissement d’une stratégie patiemment et minutieusement mise en place depuis des dizaines d’années. Cela fut d’ailleurs confirmé par le pouvoir iranien lui-même. Deux jours après l’attaque du Hamas, le conseiller pour les Affaires Internationales du Guide Suprême, Ali Akbar Velayati (ancien ministre des Affaires Étrangères) a déclaré à la presse iranienne : « Si les États-Unis ont cru, en éliminant le général Soleimani, priver l’Iran de sa capacité d’action extérieure, les évènements récents leur donnent tort »….

Par ses paroles, provenant du sommet de l’État, l’Iran a reconnu la paternité des attaques du 7 octobre…

Le déclenchement des actions Houthis

L’analyse de l’intervention Houthis, nécessite de regarder à la fois la carte et le calendrier. Les missiles et drones lancés depuis le Yémen, situé à plus de 2.000km des frontières de l’État Hébreux, n’ont pas été mis en œuvre contre Israël, dès les premières heures du 7 octobre. Seuls, les mouvements directement au contact du territoire israélien, Hamas, Hezbollah, groupes pro-Iran de Syrie, sont rentrés en action. Concernant la chronologie, les premières attaques de navire sont intervenues 6 semaines après le déclenchement de l’attaque contre Israël, et 4 semaines après l’entrée de l’armée israélienne dans la bande de Gaza.

L’intervention Yéménite est donc totalement découplée de l’attaque initiale. Son objectif, est lié à l’intervention de Tsahal à Gaza, et vise à forcer Israël à arrêter son opération militaire contre le Hamas. La création d’un désordre dans le trafic maritime mondial a pour but d’amener les pays européens, et asiatiques, touchés économiquement par ce désordre, à demander à Israël l’arrêt de son intervention.

Les limites du plan iranien

Téhéran demeure l’architecte de cette intervention puisque l’Iran est le seul fournisseur des 160 missiles et drones, utilisés à ce jour, contre les navires, en Mer Rouge et dans le Golfe d’Aden.
Cette stratégie de nuisance a certes créé des perturbations, mais ces dernières n’ont pas été suffisantes pour atteindre l’objectif souhaité. Deux interventions sont venues contrarier ce plan, l’une militaire menée par les États-Unis et la Grande-Bretagne, l’autre diplomatique, conduite par la Chine.
L’intervention militaire n’avait pas pour objectif de faire cesser les frappes, mais de les réduire, en détruisant simultanément les stocks de missiles et les radars de surveillance maritime. L’intervention de Pékin demandant à Téhéran d’intervenir auprès des Houthis est tout-à-fait complémentaire….

La Chine s’inquiète de plus en plus de son ralentissement économique intérieur. A ce titre, les exportations revêtent donc une importance encore plus grande. Toute entrave à la circulation maritime vers le marché européen, 3ème au classement mondial des exportations chinoises, est donc à proscrire.
Que faut-il donc maintenant attendre de cette situation ?

L’Iran ne pourra faire la sourde oreille vis-à-vis de la Chine devenue son premier client pétrolier…. Le nombre de missiles lancés depuis le Yémen va donc significativement diminuer, et probablement se concentrer sur des navires miliaires, en priorité américains. Un arrêt complet signifierait en effet, d’une certaine façon, perdre la face, en se montrant tant pour Téhéran que pour les Houthis, aux ordres de Pékin….

L’arrêt des perturbations en Mer Rouge est lié à l’arrêt de l’intervention à Gaza. Si dans les prochaines semaines, voire, prochains jours, une trêve d’une certaine durée se profilait, autour de la libération progressive des otages, la circulation maritime vers le canal de Suez devrait retrouver son calme.

Drones et missiles iraniens lancés depuis le Yémen ne seront certainement pas le prélude à un élargissement du conflit au Moyen-Orient. Mais la situation reste instable, surtout après le bombardement d’une base américaine en Jordanie, et l’attente d’une réplique de Washington….