Turquie – PKK : l’adieu aux armes d’une guérilla historique

Article de Godefroy Pouch | Valeurs Actuelles | Interview de Gérard Vespierre | Publié le 15 mai 2025
Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a annoncé ce lundi 12 mai sa dissolution et La fin de sa lutte armée contre l’État turc, après plus de quarante ans de conflit ayant fait plus de 40 000 morts. Une décision historique, prise lors du 12e Congrès du parti, qui répond à l’appel de son fondateur Abdullah Öcalan et pourrait marquer un tournant décisif dans la région.
« Les seuls amis des Kurdes sont les montagnes ». Ce proverbe est régulièrement repris, tant son message est frappant, réaliste, cru. Peuple apatride éparpillé entre la Turquie et l’Iran, en passant par la Syrie et l’Irak, le Kurdistan n’est pas un État souverain, mais une de ces ethnies orientales à qui l’Histoire n’a pas laissé de territoire.
Depuis le coup d’État militaire de 1980, et l’oppression du peuple kurde qui le suivi -interdiction de la langue et de toute expression de la culture kurde-, le mécontentement ne faisait que grandir.
Comment est né le PKK ?
Dès sa création, le PKK s’appuie sur un noyau d’étudiants issus de l’université d’Ankara et organise son premier congrès fondateur en novembre 1978, où Abdullah Öcalan est élu secrétaire général. Le parti, qui se définit comme marxiste-léniniste, considère le Kurdistan comme une entité colonisée et vise à mobiliser la jeunesse kurde contre l’État turc et les élites tribales alliées au pouvoir. Son programme initial revendique un Kurdistan unifié, indépendant et socialiste, ciblant principalement le sud-est de la Turquie où vit une
importante population kurde.
Dès 1979, le PKK se fait connaître par des actions spectaculaires, comme la tentative d’assassinat du chef tribal Mehmet Celal Bucak, accusé de collaborer avec Ankara. Le coup d’État militaire de 1980 force la direction à l’exil en Syrie et au Liban, où le mouvement s’entraîne militairement et structure sa branche armée. En 1984, le PKK lance ses premières attaques coordonnées contre des postes militaires turcs. Au fil du temps, le parti attire l’intérêt de la jeunesse kurde, économiquement et culturellement délaissée après des années de répression étatique turque. Le nombre d’adhérents, et de « soldats », augmente, devenant l’un des mouvements séparatistes les plus actifs de la région.
En 1990, une vague d’attaques et de manifestations a lieu. Cette période, qui voit mourir des milliers de turques et kurdes en quelques mois, marque l’apogée du PKK. Celui-ci contrôle alors une large portion du sud-est anatolien avant d’être progressivement affaibli
par la contre-offensive militaire turque et la répression accrue.
Ainsi débute un conflit qui, en quatre décennies, fera plus de 40 000 morts et déplacera des centaines de milliers de Kurdes, imposant tout de même le PKK comme l’acteur central du nationalisme kurde.
Abdullah Öcalan: l’homme-clé d’un processus de paix inattendu
Figure tutélaire du mouvement kurde, Abdullah Öcalan, surnommé « Apo » (oncle, en kurde) par ses partisans, est l’architecte principal du PKK depuis sa fondation. En 1999, son arrestation marque un tournant majeur dans l’histoire du mouvement. Traqué à l’échelle internationale, Öcalan est capturé le 15 février à Nairobi par les services secrets turcs, avec le soutien de la CIA et du Mossad. Immédiatement transféré en Turquie, il est jugé, condamné à mort, puis à la réclusion à perpétuité après l’abolition de la peine capitale.
Depuis cette date, il est détenu à l’isolement sur l’île-prison d’Imrali, au large d’Istanbul. Malgré ses 26 années d’incarcération, l’homme de 76 ans conserve une influence déterminante sur le PKK et la cause kurde en général. Le 27 février dernier, dans un geste aussi symbolique qu’inattendu, il lance un appel historique à son mouvement pour déposer les armes et se dissoudre, amorçant ainsi un virage politique majeur.
Cet appel, qualifié d’ «opportunité historique » par le président turc Recep Tayyip Erdoğan, marque le début d’une séquence politique inédite. Le PKK répond favorablement dès le 1er mars en annonçant un cessez-le-feu immédiat avec les forces turques. La décision de dissolution, prise lors du 12e Congrès du parti tenu dans les montagnes du nord de l’Irak lundi, vient parachever ce processus.
Selon un responsable du parti AKP au pouvoir, cité par le quotidien progouvernemental Türkiye, si Öcalan ne devrait probablement pas quitter sa prison, ses conditions de détention devraient être assouplies : « Les rencontres avec le [parti prokurde] DEM et la famille seront également plus fréquentes », précise cette source, ajoutant qu’ « Öcalan lui-même a déclaré ne pas vouloir quitter Imrali » pour des raisons de sécurité personnelle.
Dissolution du PKK : une page se tourne pour tout un peuple
Dans un communiqué diffusé par l’agence prokurde ANF, le PKK considère aujourd’hui avoir accompli sa « mission historique » et estime que « la question kurde est parvenue à un point où elle peut désormais être résolue par une politique démocratique ».
Selon Gérard Vespierre, chercheur et géopolitologue, c’est « une étape logique désormais ». En effet, « il y a le poids des années ». « Oçalan a été arrêté, est en prison depuis 1999. En parallèle, la situation des minorités Kurdes a évolué, notamment à l’extérieur. Les sept millions de la minorités Kurdes en Irak ont une autonomie, avec un gouvernement en coordination avec Bagdad. La minorité kurde en Syrie (2,5 millions) a aussi une certaine forme d’autonomie et une intégration, le nouveau président syrien Al-Charaa ayant nommé dans son tout récent gouvernement un ministre kurde. La minorité kurde en Turquie (15 millions) finalement, ne veut pas rester en dehors de cette dynamique régionale. »
« Les situations locales des minorités kurdes sont des situations « apaisées, et non plus des situations de combat », explique l’expert. « Ce sont des situations structurées, avec des degrés différents selon les situations nationales. La jeunesse kurde en Turquie ne peut que vouloir profiter d’un retour à une vie économique plus positive, et donc avoir une représentation politique officielle et puissante. »
Une subtile défaite d’Erdogan ?
L’appel à la dissolution en février par Abdullah Öcalan est donc l’aboutissement d’un long processus, et une opportunité unique pour un pouvoir et un président en perte d’influence.
La récente défaite de l’AKP aux élections municipales, ayant même mené à l’arrestation et l’emprisonnement du maire d’Istanbul -principal concurrent d’Erdogan- a profondément bouleversé le paysage politique turc. «Les municipalités gérées par l’opposition concernent désormais les deux tiers, au moins, de la population turque. C’est vraiment un tremblement de terre territorial profond», analyse Gérard Vespierre. L’affaiblissement de l’AKP, lié à la fois à l’âge et à la santé d’Erdogan, mais surtout à la crise économique et une jeunesse en quête de réelle démocratie, a eu un effet boomerang: «La livre turque a chuté, l’inflation atteint 40% par an, ce qui désorganise totalement la société. »
Ce revers contraint Erdogan à s’assouplir politiquement, poussé à trouver des «voix supplémentaires» pour les prochaines élections. Rencontrer Abdullah Öcalan, pour aborder la question kurde ainsi que ses propres projets de réforme constitutionnelle, est une occasion pour le président turc d’«apparaître comme le faiseur de paix civile», et de « regagner sur le terrain politique ce qu’il a perdu sur le plan économique », résume Gérard Vespierre.
La dissolution du PKK ouvre une nouvelle ère pour la politique régionale, avec des implications qui s’étendent bien au-delà des frontières turques. La situation reste
néanmoins complexe : le PKK ne maitrise pas l’entièreté du mouvement de rébellion kurde. Ceux combattant au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS), dans le nord-est de la Syrie, s’étaient par exemple dits « non concernés » par l’appel au désarmement lancé par Abdullah Öcalan en février, illustrant la fragmentation du mouvement kurde.
Pour ce qui relève de la Turquie, la balle est maintenant dans le camp des institutions, qui devront démontrer leur capacité à intégrer pleinement cette composante essentielle de la société dans le jeu démocratique. Au-delà du désarmement, c’est la reconnaissance
culturelle et politique des Kurdes qui constituera la véritable mesure du succès de cette réconciliation.