Ports africains, un enjeu géopolitique méconnu

Article paru sur le site de la Tribune le 17 juin 2025
Le continent africain, continent de la terre, est aussi un espace entouré d’une mer et de deux océans, chauds. Immenses ouvertures maritimes, libres de toute contrainte climatique, pour son commerce, mais aussi immenses zones où se joue sa sécurité. Par Gérard Vespierre analyste géopolitique.
Les ouvertures maritimes que constituent les espaces portuaires du continent revêtent une importance particulière, donc stratégique, tant pour les pays géographiquement impliqués que pour ceux de l’hinterland. Leur capacité civile, et militaire, leur modernité, et leur niveau de sécurité, vont donc jouer un rôle de première importance vis-à-vis de leur attrait économique et stratégique.
Continent de 30 millions de kilomètres carrés, l’Afrique représente pratiquement 2 fois la superficie du plus grand pays du monde, la Russie, mais, cerné par une mer, la méditerranée, et deux océans, Atlantique et Indien. A l’opposé de l’empire russe, ce continent doit absolument entretenir une relation privilégiée avec la mer. Or cette vision géopolitique d’une Afrique maritime n’est nullement une vision dominante. Il convient donc de la rappeler et de la renforcer.
Le triple rôle de l’espace portuaire
Sur les 54 États structurant le continent, 38 soit un peu plus des deux-tiers, possèdent une façade maritime. Les 16 autres, démunis de débouché marin, créent donc une pression et une responsabilité sur les 38 ‘maritimes’ pour assurer le transit de leur commerce.
Ils assurent, en premier lieu, les flux d’importation et d’exportation pour son milliard et demi d’habitants, en 2024, mais doivent aussi se préparer à assumer la responsabilité du flux des besoins des deux milliards et demi projetés pour 2050.
En dehors de cette responsabilité de flux, les ports africains doivent naturellement assurer la réception, la transformation, et l’expédition des ressources halieutiques. La production annuelle de poissons dans les eaux des seuls pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest est estimée à plus de 1,6 million de tonnes, et représente une valeur commerciale d’environ deux milliards d’euros.
Enfin, le troisième volet, plus récent, consiste pour les plateformes portuaires à organiser des hubs de développement industriel, à leur périphérie. Cette fonction nouvelle joue un rôle particulièrement important dans le développement économique des pays concernés, avec les bassins d’emploi associés.
Cette triple responsabilité, associée à l’importance de la géographie humaine du continent, et aux ressources du sous-sol, créent une attraction géopolitique mondiale vers ses ports, et particulièrement ceux de l’Afrique de l’ouest
Une compétition internationale
Le CESA, Centre d’Etudes Stratégiques de l’Afrique, estime que la Chine, à travers ses entreprises d’État, est impliquée dans 78 ports africains en tant que bailleurs de fonds, constructeurs ou opérateurs, soit 33% de l’ensemble des infrastructures portuaires du continent. Pratiquement la moitié ont déjà accueilli des escales ou des exercices militaires des forces navales de l’armée chinoise. Pékin a développé un plan stratégique visant à dynamiser les flux ente les produits chinois, et les matières premières africaines. La présence chinoise dans le secteur portuaire en africain est sans équivalent, ailleurs dans le monde.
Un autre acteur stratégique s’est impliqué depuis une vingtaine d’années : Les Émirats arabes unis. Leur principal opérateur, DP World, est aujourd’hui un acteur majeur. Le port de Ndayane, au Sénégal, en cours de développement par ce groupe, représente un projet de 1,2 milliard de dollars sur deux phases. Les EAU encourage également de nouveaux entrants sur le continent, comme Abu Dhabi Ports, très présent en Afrique de l’Est, leur zone d’influence naturelle, où ils rivalisent avec la Chine.
Le retrait relatif de la France
La France connaît un déclin dans le domaine portuaire et logistique en Afrique. La cession des actifs africains du groupe Bolloré Africa Logistics au groupe italo-suisse MSC en 2022 en est un exemple. Il a concerné principalement, la cession de 16 terminaux portuaires et de plusieurs entrepôts stratégiques.
Mais notre pays conserve néanmoins des atouts. Le géant mondial du transport maritime, CMA-CGM, reste un acteur prépondérant. Le groupe est très actif au Nigéria ainsi qu’au Cameroun, où il contrôle le port en eau profonde de Kribbi. On doit également citer le groupe Meridiam qui a inauguré en 2022, aux côtés du groupe Arise (Singapour), le nouveau terminal de conteneurs de Nouakchott. Ce terminal se positionne comme la porte d’entrée de la Mauritanie, mais aussi du Mali.
Ces choix, d’investissement ou de cession, reflètent les décisions stratégiques des entreprises, qui prennent naturellement en considération tous les aspects de risques.
Dangers maritimes et sécurité renforcée
Visibles et médiatisés, les actes de piratage sont les plus connus. Cependant, d’autres problèmes, comme le narcotrafic, les filières d’immigration illégales, ou la pêche illicite (manque à gagner de plusieurs milliards d’euros par an) et le trafic d’armes, posent de réels défis. Ces trafics financent et alimentent directement le chaos sécuritaire du Sahel, qui tend par ailleurs à métastaser vers le golfe de Guinée.
Dès 2013 les organismes représentants l’Afrique de l’ouest, l’Afrique centrale, et la commission du Golfe de Guinée ont établi les bases d’une stratégie régionale commune, couvrant l’espace maritime du golfe de Guinée, connue sous l’appellation ‘Architecture de Yaoundé’. Le commandement pour l’Atlantique de la Marine Nationale participe à la sécurité de la région, en partenariat avec les États riverains, par le biais de l’opération Corymbe.
Il faut ajouter les menaces nouvelles des cyberattaques, dont l’augmentation représente un risque sans précédent pour les ports et les infrastructures critiques du continent. Parmi les nombreux projets de protection, on peut citer ‘Safe Seas for Africa’ financé par l’Union européenne, et mis en œuvre par plusieurs organismes internationaux (ONUDC, UNITAR-ISMI et l’OMI) visant à bâtir une cyber résilience, régionale, durable.
Ces menaces et risques conduisent, autorités portuaires, investisseurs, et utilisateurs, à élaborer des exigences de nature nouvelle dans le développement des infrastructures portuaires africaines, en particulier en Afrique de l’ouest.
Impérieuse nécessité de modernisation
D’Abidjan à Kribi, en passant par Lomé, Cotonou ou Douala, les plateformes portuaires se modernisent, s’automatisent. Il s’y ajoute désormais une sécurisation considérée comme une composante structurante de l’activité, et non plus comme une simple addition de systèmes.
Le port de Douala (PAD) qui assume à lui tout seul plus de 70% des échanges commerciaux du Tchad et de la Centrafrique, est désormais sécurisé, via l’action de partenaires locaux telle que l’entreprise camerounaise PortSec SA. Les installations comprennent des systèmes de surveillances multiples, caméras, radars de navigation longue portée, et contrôles d’accès biométriques.
Afin de gérer les flux transitant par le corridor Douala-Bangui-N’Djamena, le PAD a mis en place une sécurisation globale incluant des escortes ponctuelles de convois. Les investissements engagés (près de 210 millions d’euros) et les process sécuritaires, attirent de plus en plus d’investisseurs à Douala. Le groupe Arise IIP doit y investir 350 millions d’euros pour la construction d’une zone industrielle dont l’activité profitera également à l’arrière-pays.
Le port de Cotonou, principale plateforme logistique du Bénin, est également au cœur d’un ambitieux programme de modernisation, doté de plus de 685 millions d’euros. Ces investissements concernent l’agrandissement du terminal de conteneurs, ainsi que l’installation de nouvelles grues permettant de réduire le temps d’attente. S’y ajoutent, la construction d’un terminal vraquier de 20 hectares et la création d’une zone logistique de 40 hectares.
Des milliers d’emplois indirects et induits seront créés, notamment dans les secteurs du transport, de la logistique et des services connexes. Ces aménagements permettront de porter la capacité annuelle du port de 12 à 20 millions de tonnes. Le Bénin améliorera ainsi sa compétitivité en tant que plateforme logistique régionale.
Les enjeux de développement économiques de l’Afrique, l’attrait de ses ressources minières, et les rivalités géopolitiques des puissances extérieures, conduisent à une mise en valeur accélérée des installations portuaires du continent. Ce processus est indispensable pour aider à résoudre les problèmes de niveau de vie de ses habitants, et apporter ainsi une forme de réponse aux déstabilisations intérieures. La mobilisation des grandes puissances géopolitiques du monde pourrait alors aboutir à un résultat très positif.