Iran : un régime de plus en plus contesté par son peuple

Iran un régime contesté

Article paru sur Latribune.fr le 5 juillet 2018

A nouveau au centre de l’actualité, l’Iran est confronté à un grand nombre d’acteurs internationaux. Mais, au-delà de cet affrontement entre la communauté internationale et le pouvoir iranien, le peuple iranien, lui-même, ne va-t-il pas, un jour être l’ultime arbitre ? Et d’ailleurs, ne s’est-il pas déjà mis en marche ?

L’Iran se retrouve au centre d’un carré. Les quatre côtés s’appellent: Etats-Unis, Union européenne, Etats-Arabes, et Israël. Chacun, avec ses spécificités, veut changer ou amender l’accord nucléaire, limiter les capacités balistiques iraniennes, et voir ce pays ne plus intervenir militairement dans quatre pays de la région, Liban, Syrie, Irak, Yémen…

Quand on parle de l’Iran, de quel Iran parle-t-on… ? Il s’agit du gouvernement de ce pays. Mais il y a un autre Iran, l’Iran de 80 millions d’habitants. Le temps ne serait-il pas venu de regarder ce que fait ce peuple ? Ne se serait-il pas déjà mis en marche de Téhéran à Ispahan ? Le temps ne serait-il pas venu d’écouter ce qu’il a à dire ? Pourquoi ? Parce qu’il devra un jour ou l’autre, d’une façon ou d’une autre, intervenir dans ce débat, trancher, pour ou contre, les orientations fondamentales du régime.

Les manifestations de fin 2017, début 2018

Après les premières grandes manifestations populaires de 2009, et la contestation de l’élection d’Ahmadinejad, le deuxième mouvement de grande ampleur a éclaté fin décembre 2017. Lancées depuis la ville de Mashhad, les manifestations se sont ensuite étendues à plus de 140 villes. Le détournement des fonds de la Caisse d’Epargne régionale, l’une des plus importantes d’Iran, par les institutions religieuses, gérées par le régime, en était la cause.

Des slogans jamais entendus ont été lancés par les foules : « Voleurs, rendez-nous notre argent », « Pas la Syrie, pas le Liban, mais l’Iran ». Ils dénoncent la corruption présente dans tous les rouages de l’Etat, et la condamnation des dépenses militaires dans les pays voisins, qui appauvrissent les Iraniens.

Durant ces trois semaines, la répression a fait plus de 50 morts, traduisant le niveau de mobilisation. Les manifestations n’ont pas réellement cessé. Depuis quelques semaines, elles se sont étendues et les slogans expriment la mise en cause du régime.

La vague des manifestations actuelles

Peu couvertes par les médias occidentaux, les manifestations, et grèves, se sont poursuivies au cours de ces trois derniers mois. Les sidérurgistes dans la grande unité industrielle d’Ahwaz se sont mis en grève, car non payés depuis plus de trois mois. La grève des transporteurs routiers s’est développée en mai dans tout le pays, et a touché plus de 250 villes. La Fédération internationale des travailleurs du transport a apporté son soutien à ce mouvement. Les agriculteurs de la région d’Ispahan sont descendus dans la rue pour manifester leur détresse économique devant le manque d’eau et la vétusté des réseaux d’irrigation.

La ville de Kazeroun a été le siège pendant des semaines de manifestations qui ont finalement tourné à l’émeute. La cause est un nouveau découpage territorial administratif, avec spéculation immobilière, et corruption. Une nouvelle forme d’action originale est apparue : le détournement des panneaux d’affichage publicitaire dans les aéroports. A Mashhad et Tabriz, les écrans ont montré l’image symbolique d’une jeune manifestante de l’université de Téhéran, accompagnée du slogan « soulèvement général ».

Fin juin, pendant plusieurs jours, le Grand Bazar de Téhéran et la ville elle-même ont été le théâtre de manifestations significatives. Cette grève est motivée par la hausse impressionnante des prix, liée à la chute de 40% de la monnaie iranienne depuis le début de l’année. Ces jours-ci, ce sont les populations des villes de la province pétrolière du Khouzistan qui sont dans la rue à cause de la pénurie d’eau potable.

Les nouveaux enseignements

La présence de femmes en tchado noir, dans les manifestations d’Ispahan, signifie que dans la partie la plus conservatrice de la société, la contestation commence à trouver place, les conditions matérielles très difficiles l’emportant sur l’idéologie. La deuxième observation concerne le slogan issu de ces manifestations d’Ispahan, et repris partout:« Notre ennemi est ici, ils mentent quand ils disent que c’est l’Amérique ».

La population comprend que les sanctions économiques qui lui sont infligées proviennent d’abord du régime. C’est le doublement de l’armée par les Gardiens de la Révolution, les programmes, nucléaire et balistique, et la présence militaire iranienne dans les pays de la région qui, depuis des dizaines d’années, ruinent les finances du pays, bien avant les sanctions américaines.

La troisième observation concerne la violence des slogans. A Kazeroun, plusieurs milliers de personnes, réunies pour la prière du vendredi, ont scandé « Si vous nous trahissez, on vous tue ! » à l’encontre des autorités de la ville.

La quatrième observation porte sur l’opération de détournement des panneaux publicitaires dans les aéroports. Cette opération, créative, de type « intrusion informatique » fait appel à des savoirs. Elle signifie que la population, jeune et intellectuelle, participe aussi à la contestation du pouvoir.

Enfin, le cinquième enseignement, un des plus forts, provient de l’attitude des forces de sécurité. A Kazeroun, à Téhéran, les policiers se sont repliés devant les manifestants. Encore plus significatif, des membres des forces de l’ordre se sont approchées des manifestants, pour leur dire, en catimini : « Nous sommes avec vous »….

Il s’agit là d’un signal fort, indiquant que les membres des forces de l’ordre arrivent aux mêmes conclusions que les manifestants. Un tel sentiment ne peut que s’étendre et poser de sérieuses difficultés au pouvoir dans les semaines et mois à venir.

L’impact à l’intérieur du régime

Le régime a su jusqu’ici faire preuve de beaucoup d’habilité et de persuasion, afin de cacher ce qui commence à se répandre dans les esprits à l’intérieur même des sphères du pouvoir. L’ayatollah Abdollah Javadi Amoli, ancien imam du vendredi de la grande ville religieuse de Qom, a ainsi déclaré le 27 avril 2018 (selon le quotidien iranien Asr-e-Iran) :

« Il vaut mieux prendre garde, si la nation se soulève, le peuple nous jettera à la mer. Beaucoup ont déjà fui ou ont trouvé un endroit où s’échapper. Mais nous, nous n’avons nulle part où nous sauver. »

Une analyse politique, venant cette fois du pouvoir, a été prononcée par Nategh Nouri, ancien président de l’Assemblée nationale, quelques jours après la sortie américaine de l’accord nucléaire : « Le défi qui se pose à nous n’est pas l’accord nucléaire. Le défi qui se pose à nous est de savoir si nous pourrons rester au pouvoir… ».

Se sentant en danger, le régime se tourne tout naturellement vers la désignation de boucs-émissaires. C’est le sens des demandes de démission de plusieurs ministres par un certain nombre de députés. Rocambolesque, mais relevant de la même stratégie de la désignation d’un coupable, est l’accusation du général Gholam Reza Jalali. Le 2 juillet, il a accusé Israël de « voler les nuages » destinés à apporter l’eau en Iran, la sécheresse et le changement climatique étant « suspects » !!! L’idéologie n’a pas de limite créative….

Les mécanismes d’accompagnement, une opposition iranienne

Les manifestations sortent-elles de nulle part ? Nous savons que tout cela nécessite encouragement, et organisation. Y-a-il une opposition en Iran ?

Il existe un Conseil National de la Résistance Iranienne (CNRI), et son siège se situe en France, dans le Val d’Oise. Nous devrions d’autant mieux le savoir que le régime iranien n’a eu de cesse de demander à la France d’intervenir pour réduire cette organisation au silence. Regroupant plusieurs partis laïcs et religieux, le CNRI présente un programme en 10 points dont le triptyque de base, gouvernance laïque, séparation des pouvoirs, et égalité hommes-femmes, est exactement à l’opposé du pouvoir iranien actuel.

C’est une femme, Mme Maryam Radjavi, qui a été élue à la tête de ce Conseil. Une femme charismatique, face à un religieux de presque 80 ans, on ne pouvait imaginer un plus grand contraste à la fois humain et politique.

La réunion de plusieurs dizaines de milliers d’Iraniens, à Villepinte, le 30 juin, ne montre-t-elle pas la force et la détermination de cette opposition ? Le projet d’attentat, déjoué par la collaboration des services allemands, belges et français met en cause un diplomate iranien de l’ambassade de Vienne. Le régime de Téhéran serait-il réduit à ces extrémités ?

La situation économique va se dégrader

‘Iran dans les prochains mois va continuer d’attirer les regards. La situation économique va-t-elle s’améliorer ? Probablement pas, eu égard aux sanctions américaines. Le président des Etats-Unis vient de demander à la communauté internationale d’arrêter ses achats de pétrole iranien. L’Inde vient d’indiquer qu’elle allait se préparer à réduire les siens. La situation économique se détériorant, ne pourra que conduire à de nouvelles et plus importantes manifestations populaires. La pression sur la monnaie iranienne ne se relâchera pas, et les manifestations des commerçants du Grand Bazar ne pourront que se poursuivre et s’amplifier.

Un Président devrait savoir que, les révolutions commencent le jour où, les commerçants, très mécontents, quittent leurs échoppes et, descendent dans la rue.

Le peuple iranien n’est-il pas en marche ?