La stratégie énergétique ambitieuse des Émirats : un modèle pour la France ?

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Article paru sur La Tribune le 28 janvier 2022

7ème producteur de pétrole mondial, et 13ème producteur gazier, les Émirats, se préparent, depuis de nombreuses années, à l’après hydrocarbures. Nous avons assisté à leur entrée dans les technologies de l’espace, de l’intelligence artificielle, et des sciences de la santé. Leur volonté beaucoup plus récente, d’être présents dans l’énergie décarbonée, n’est pas perçue à ce jour, comme stratégique. Pourtant, un plan global est à l’œuvre, et la France y joue un rôle majeur. Ne devrait-elle pas d’ailleurs s’en inspirer pour gérer ses propres filières d’énergie renouvelable ?

Les méthodes de rationalisation, et de prospective, des choix économiques, sont à l’œuvre aux Émirats depuis plus d’une dizaine d’années. Si le plan Vision 2030 de l’Arabie Saoudite a eu la faveur des médias depuis 2016, les Émirats avaient lancé beaucoup plus tôt « un plan 2020 » dont on a vu les résultats dans le domaine financier, urbain, et technologique.
Mais les dirigeants du pays n’entendent pas placer leur futur dans ces seuls domaines, et rester sous la contrainte des ressources carbonées de leur sous-sol. Un plan global, identifié à ce jour par les seules entreprises du secteur de l’énergie, est en train de se mettre rapidement en place. Ce plan, centré sur les ressources énergétiques renouvelables, est en déploiement dans les domaines de l’hydraulique, de l’hydrogène, et du solaire.

Ce plan global est ambitieux, cohérent et peut servir de modèle aux porte-voix du changement de modèle énergétique. La France ne devrait-elle pas s’en inspirer, afin de devenir un vrai « champion du Climat » ?

Une étonnante centrale hydraulique

Si l’entrée des Emirats dans les secteurs technologiques ne crée plus de surprise, la construction d’une centrale hydraulique dans un pays du sud de la péninsule Arabique est beaucoup plus étonnante.

La topographie émirienne offre une intéressante partie montagneuse, les monts Hajar, à sa frontière Est, vers le Sultanat d’Oman. Elle dispose d’une hydrographie appropriée, et donc de la possibilité de tirer parti de ces ressources en eau. Ainsi est né le projet de la centrale hydraulique d’Hatta, du nom de la ville, proche, placée sur la route reliant Dubaï, et Oman.

Cette réalisation est naturellement une première dans la région. Elle représente un investissement de 300 millions d’euros et une capacité de production énergétique de 250 Mégawatts. Sa construction occupe une place importante dans le plan de zéro émission net de carbone, en 2050. La société française EDF contribue à cette réalisation, dans le cadre d’un contrat d’assistance à la maîtrise d’ouvrage.

Cette centrale est la première dans le Golfe Persique à utiliser la technique STEP (Station de Transfert d’Énergie par Pompage) déjà mise en œuvre par EDF dans 6 installations en France.

La France dispose d’un réseau hydraulique incomparable. EDF possède les technologies. Ne devrions-nous pas concevoir et mettre en place un plan « Hydraulique national » ? Que fait la France de façon coordonnée, et ambitieuse, dans l’hydrolien fluvial ? Nous y avons un réel potentiel.

Le plan de diversification des sources d’énergie renouvelable Émirati se met en place également avec la construction d’unités de production d’hydrogène.

La révolution Hydrogène

Le ministre émirien de l’énergie et des infrastructures a souhaité s’appuyer sur la COP 26, à Glasgow, pour donner une plus grande valeur symbolique à l’annonce du lancement d’une « feuille de route hydrogène » dans son pays.

Le but ambitieux des Émirats est de devenir un des principaux acteurs sur le marché mondial, avec l’objectif d’atteindre en 2030 une part de marché de 25% dans les principaux pays importateurs d’énergie, comme l’Allemagne, le Japon, la Corée du Sud, l’Inde. Aujourd’hui les perspectives économiques de ce marché hydrogène s’évaluent en centaines de milliards de dollars…

Le plan hydrogène comprend ainsi plus de 7 projets industriels sur le point d’être achevés ou en cours de développement. Il est positif que la France fasse partie intégrante dans cette stratégie via la signature d’un accord d’alliance stratégique entre le groupe ENGIE, et le Ministère de l’énergie, en vue de développer un « hub hydrogène » aux Émirats, d’une capacité, en 20230, de 2 GW, afin de servir les besoins de tous les pays du Conseil du Golfe.

La France dispose, certes, d’un « Conseil National de l’hydrogène » et d’une « Stratégie Nationale de développement de l’hydrogène ». Mais il nous faut allier, le plus efficacement possible, procédures de planification, et réalisations industrielles, rapides et fiables. La conquête avantageuse de parts de marché se fera seulement à cette condition. Les Émirats ne seraient-ils pas à cet égard un modèle ?

Nos lourdeurs administratives constituent un handicap à notre réactivité et compétitivité.

Aux Émirats, la diversification vers les énergies renouvelables se complète également d’une importante composante solaire.

La ruée vers le solaire

Les Émirats Arabes Unis disposent d’un Centre d’Innovation Solaire actuellement dirigé par une femme. Implanté dans le périmètre de la plus grande centrale solaire mondiale à site unique, ce centre développe et teste de nouvelles technologies de production et d’entretien. Le dépoussiérage des panneaux est en effet un élément clé de la maintenance. L’accumulation de poussière en surface abaisse très rapidement le rendement des cellules photovoltaïques.

L’Institut Photovoltaïque d’Ile de France (IPVF) porté par Total Énergies, EDF, le CNRS a été créé en 2014. Il a fallu plus de 2 ans pour que soit posé la première pierre. A nouveau l’agilité, la rapidité dans cette filière technologique est un facteur clé de succès, à l’image de ce qui se créé à Dubaï.

Il y a 6 mois EDF Renouvelables a remporté, dans le cadre d’un consortium avec la société chinoise Jinco Power, le contrat de la plus grande centrale solaire du monde, qui sera implantée à 35km d’Abu Dhabi. D’une puissance installée de 2GW, elle alimentera 160 000 foyers locaux.
Cette nouvelle installation sera la première centrale d’une telle dimension à utiliser des modules bifaciaux. La technologie consiste à capter le rayonnement solaire par les deux faces des modules photovoltaïques, augmentant notablement la puissance de l’installation.

Ce succès d’EDF s’est inscrit dans la cadre de la stratégie CAP 2030 du groupe visant à doubler entre 2015 et 2030 les capacités renouvelables installées, pour les porter à 50 GW net, dans le monde.

Ce modèle est excellent pour le Groupe EDF, et donc excellent pour la France, en continuant d’exporter des technologies. Le modèle Émirien nous aide.

Un rayonnement énergétique régional

L’année 2021 a enfin vu les Émirats Arabes Unis se lancer dans un très grand déploiement au Moyen-Orient, en implantant des projets de centrales solaires chez ses voisins.

La société émirienne Masdar a signé un accord avec le gouvernement Irakien, le 6 octobre 2021, prévoyant la construction de cinq centrales électriques solaires avec une première phase de production de 1000 mégawatts.

Des accords d’investissements, dans le domaine de l’énergie, ont aussi été signés le 24 novembre entre les Émirats et la Turquie, dans le cadre de la rencontre à Ankara entre prince héritier Mohammed ben Zayed et le président turc Recep Tayyip Erdogan.

Les Émirats associent leur vision de développement technologique et énergétique de Zéro émission net de carbone en 2050 avec l’évolution géopolitique du Moyen-Orient. Ils prennent ainsi une avance sur leur grand voisin de la péninsule arabique, qui ne vise la neutralité carbone qu’en 2060. Les Émirats s’emparent d’un leadership régional dans le cadre d’alliances, et la France y joue un rôle qu’elle doit approfondir.

Le développement d’énergies propres, renouvelables, dans une vision régionale entrent dans le cadre d’actions et d’options diplomatiques, une stratégie intelligente et à long terme, que la France devrait imiter.

La France doit même s’en inspirer pour gérer la mise en œuvre de ses filières d’énergies renouvelables. L’énergie, par ses technologies, est un instrument géopolitique et diplomatique. Nous l’avons vécu avec la filière des centrales nucléaires. Ne devrions-nous pas hisser nos filières « énergies renouvelables » à ce niveau d’excellence, et d’influence ?

Ces innovations sont certes coûteuses mais les partenariats déjà établis prouvent que la France a le pouvoir de dépasser les modèles traditionnels pour s’implanter fortement comme un pionnier des énergies décarbonées, sur son sol et à l’étranger.

La force des Emirats est d’avoir très tôt pensé à sortir de la dépendance aux hydrocarbures et à anticiper les nouveaux modes de production énergétiques. A nous de suivre ce modèle en proposant des projets ambitieux, et agiles, et préparant la France à être un « champion du climat ».