Iran : le grand risque ?

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Article paru sur Latribune.fr le 13 février 2016

Les entreprises françaises comptaient profiter du potentiel du marché iranien avec la levée de l’embargo. Mais la situation économique du pays ainsi que les risques géopolitiques et sociaux militent en faveur d’un certain attentisme.

Les industriels français sont fort perplexes devant la situation iranienne. Le déficit record de la balance commerciale française exige un accroissement à court terme de nos exportations. Mais quels sont les éléments d’analyse, et quelles sont les perspectives en Iran à court terme… ? Le potentiel du marché iranien est certain, sa solvabilité est une autre question.

Les perspectives économiques iraniennes

Fort d’une population importante de plus de 80 millions d’habitants dont 70% ont moins de 30 ans, le marché potentiel existe. Mais en dehors de ce paramètre, quelles sont les conditions économiques du pays ?

Le taux de croissance 2016 et 2017 a certes connu une hausse par rapport aux années précédentes, atteignant 4,6%. Cette accélération est en fait un rattrapage des très faibles taux de croissance des années précédentes. Elle est liée à la signature de l’accord nucléaire, et à la mise en place du célèbre JCPOA, le « Joint Comprehensive Plan of Action » le Plan d’action conjoint et global, entre l’Iran et les «5+1 », les 5 membres du Conseil de Sécurité, plus l’Allemagne. A cela est venue s’ajouter la hausse d’environ 25% des exportations de pétrole, accompagnée d’une augmentation du prix du baril de 40% en 2018, par rapport à 2015.

Des taux d’intérêt à 18%

Mais les perspectives de croissance sont inférieures pour 2018. Les conditions globales de l’économie iranienne sont en effet assez grises. Le taux de chômage officiel est de 12%, la réalité certainement plus difficile, le situe très probablement entre 15 et 20%. En outre, le taux d’inflation, fortement réduit, de 30 à 10%, l’a été au prix d’une politique classique de taux d’intérêt élevé. Les taux interbancaires autour de 18% freinent l’investissement. Leur diminution, pour participer à la relance de l’économie, réduirait les revenus bancaires, aboutissant à fragiliser encore plus des institutions financières déjà en difficulté.

Des réformes sont donc nécessaires, mais sont-elles possibles ? Le pays ne dispose pas de réelles marges de manœuvre, avec une économie contrôlée à plus de 70%, si on cumule les secteurs dirigés directement par l’Etat, les entreprises gérées par les Gardiens de la Révolution, et l’activité des fondations religieuses. L’économie iranienne manque fondamentalement de souplesse et de réactivité.

A cela s’ajoute des capacités nationales d’investissement, insuffisantes, et une frilosité des investissements extérieurs. Cette dernière est justifiée par le cumul des mesures monétaires et bancaires américaines, le climat créé par les nouvelles sanctions de l’administration américaine contre les Gardiens de la Révolution, et enfin, les soubresauts sociaux-politiques de ces derniers mois.

Les nouvelles positions de politique internationale

Les positions des Etats-Unis, et des principaux pays européens, France, Angleterre et Allemagne, ne sont certes pas identiques, mais sont marquées depuis 6 mois par un raidissement certain vis-à-vis du pouvoir à Téhéran.

D’une part, les Européens, de façon coordonnée, comme on l’a vu dans un communiqué commun, en octobre, au soir de la « décertification » de l’accord nucléaire par le président américain, souhaitent travailler à compléter l’accord de 2015. Il s’agit de travailler sur l’après 2025, sans remettre en cause l’accord en place.

D’autre part, les 3 puissances européennes, et le président Macron n’est pas en reste, se montrent très critiques à la fois sur le programme de missiles, et la présence militaire extérieure de Téhéran, au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen, par l’intermédiaire des Gardiens de la Révolution, de la force Qods et des milices chiites encadrées par Téhéran.

Les conditions économiques intérieures difficiles et contexte international se durcissant, elles créent une augmentation du risque pour les investisseurs commerciaux ou industriels internationaux, poussant les entreprises désirant commercer avec l’Iran à attendre des jours meilleurs.

Les récents évènements intérieurs

Enfin, les esprits ont été très marqués par les mouvements populaires des mois de décembre et janvier dans plus de 140 villes iraniennes. Certes, il y avait eu d’impressionnantes manifestations en 2009, mais les conditions cette fois, sont très différentes. Pourquoi ? Les revendications liées à l’élection d’Ahmadinejad ne reposaient que sur un seul motif de falsification électorale, donc purement politique. La forte répression contre les citoyens, les leaders de l’opposition, et l’usure apportée par le temps, ont permis au pouvoir de surmonter ce problème ponctuel.

Les manifestations de fin 2017 et début 2018 sont, elles, multi-causales, économiques, sociales, politiques, donc beaucoup plus profondes.

Pourquoi les manifestations ont-elles commencé à Mashhad ? Parce que la principale caisse d’épargne régionale iranienne y a son siège, et qu’elle ne pouvait faire face aux remboursements demandés par les déposants! D’où les premiers cris de protestation « rendez-nous l’argent », « à bas la corruption », qui ont rapidement abouti à mettre en cause le pouvoir avec « à bas Khamenei »… et sa politique extérieure « pas la Syrie, le peuple iranien »… S’y est ajouté les gestes spectaculaires de jeunes femmes refusant le foulard, et demandant le retour à une liberté individuelle.

Ces slogans et ces actions sont clairs. Nous sommes ici devant une protestation globale. Nous ne sommes plus comme en 2009 devant un problème ponctuel, mais devant une crise systémique. Quelques semaines plus tard, les causes du mécontentement ont-elles disparu ? Absolument pas.

Les perspectives 2018

Il est donc fort probable qu’avec le printemps, les protestations ressurgissent. Y aura-t-il un printemps chaud à Téhéran, mettant en cause le pouvoir ? Dans les cercles autour du Guide Suprême, la question du « serons-nous là en 2019 pour l’anniversaire des 40 ans de pouvoir ? » se murmure.

Lors des manifestations de janvier, un certain nombre de membres des forces de l’ordre, les Basidji, sans se ranger publiquement avec les manifestants n’ont pu s’empêcher de faire savoir : « nous sommes avec vous… ! ». Ce n’est plus de politique dont il s’agit, c’est de pauvreté, partagée…. entre manifestants et forces de l’ordre…

Le pouvoir sera-t-il à l’abri de défections plus spectaculaires lors de possibles prochains affrontements… Le risque est-il grand à Téhéran…?

Si ce schéma se dessine, pour les entreprises françaises, il est urgent d’attendre… Le monde de l’exportation est vaste…