Pétrole : l’Arabie saoudite en passe de gagner son pari

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La production américaine de pétrole de schiste a provoqué un déséquilibre de l’offre. L’OPEP et l’Arabie Saoudite ont décidé en décembre 2014 de contrer cette situation en maintenant leurs volumes. La baisse des prix, consolidée par cette stratégie force finalement les Etats-Unis à réduire leur production. Pari gagné pour le royaume saoudien.

De très grandes manœuvres sont en cours dans l’économie mondiale. Ralentissement chinois et des BRICS, grande fébrilité des bourses mondiales, absence de remontée des taux par la Federal Reserve américaine, prix du pétrole au plus bas.
Au sujet de cette situation pétrolière, dans les dernières semaines, nous avons pu lire des « analyses » un peu détonantes….Il est temps de regarder les réalités et les chiffres tels qu’ils sont, et non pas tels que l’on voudrait qu’ils soient.

La règle du volume d’offre disponible

Le prix actuel du baril, comme ceux que nous avons connus antérieurement lors des chocs pétroliers de 1973 et 1979, repose sur un déséquilibre de volume. Embargo (gel de volume) en 1973, révolution iranienne en 1979 et guerre Iran-Irak de 1980 (baisse des volumes produits) conduisent à un quadruplement (3 à 12 dollars) puis à un triplement (12 à 36 dollars) du prix. Le volume a dicté sa loi.
Dans la situation que nous connaissons depuis l’automne 2014, le volume d’offre de brut est supérieur à la demande, de plus de 1 million de barils par jour, et a continué d’augmenter, ce qui produit la baisse des prix que nous connaissons. Il n’y a pas de manipulation de l’Arabie Saoudite, nous assistons à l’envolée de la production américaine de pétrole de schiste… !  Le volume continue de dicter sa loi.

La stratégie saoudienne, très logique

Devant cette situation, la stratégie de l’Arabie, a été de maintenir sa part de marché, son volume.
Elle aurait pu opter pour une stratégie de prix à court terme en réduisant sa production. Au lieu de cela elle a opté pour le maintien (voire même une légère augmentation de ses volumes) et cela a provoqué un prolongement jusqu’à aujourd’hui d’un niveau de prix autour de 50$ le baril, atteint depuis le début de l’année 2015.
Il n’y a donc pas du tout de manipulation du prix ou de quoi que ce soit d’autre. Il y a de la part de l’Arabie Saoudite une vision stratégique, des décisions, et un but, faire baisser le volume (oui, toujours le volume) de production de pétrole de schiste américain, en gardant des prix bas par le maintien de son volume de production.

L’impact sur la production américaine

Il nous a été peint de jolis tableaux sur la révolution du fracking, méthode de production du pétrole de schiste aux Etats-Unis. Les Innovations techniques permanentes, la mobilité des producteurs allaient permettre de baisser rapidement et agilement les coûts de production, et donc de répondre quasiment proportionnellement à la baisse des prix mondiaux.
Si des progrès ont pu être réalisés, ils n’ont pu l’être dans les proportions souhaitées, et la conséquence inévitable s’est traduite par la fermeture des puits et la baisse de la production.
Le graphique ci-dessous permet de clairement visualiser, après la hausse de production du début de 2015, sur la lancée des ouvertures de puits 2014, le début rapide et significatif de la baisse de production de pétrole brut aux Etats-Unis, depuis cet été. (source EIA)

« La production américaine de pétrole devrait payer le plus lourd tribut » à cette INFLATION DES VOLUMES exprimait récemment l’AIE (Agence Internationale de l’Energie, basée à Paris) et d’ajouter « la stratégie de l’OPEP, menée par l’Arabie saoudite, de défendre ses parts de marché indépendamment du prix, semble produire l’effet recherché d’écarter la production coûteuse et « inefficace ».
La réduction de cette production « coûteuse et inefficace » se visualise dans le graphique ci-dessous illustrant la croissance et le déclin du nombre de foreuses en activité aux États-Unis, face à la baisse des prix du brut au dernier trimestre 2014.

Et le futur ?

Nous sommes loin, très loin d’une situation où l’on pourrait présenter l’Arabie Saoudite comme étant « échec et mat ». On pourrait dire, tout au contraire, qu’elle voit depuis 3 mois le début des résultats de sa stratégie de volume.
L’évolution des volumes aux Etats-Unis va-t-elle continuer dans ce sens ? Le volume de production de brut américain va-t-il poursuivre sa descente ? Assurément. L’EIA qui est l’agence en charge de l’information au sein du Ministère de l’énergie aux Etats-Unis a annoncé début septembre que cette baisse de production allait se poursuivre. D’un niveau de 9,1 millions de barils par jour, cette production va rejoindre le seuil de 9 millions et probablement plus bas. L’EIA estime d’ailleurs dans sa note de septembre la production moyenne de 2016 à 8,8 millions de barils, indication supplémentaire que ce recul va continuer.

Ces projections permettent d’envisager une possible remontée des cours du baril dans la seconde moitié de 2016, à conjoncture économique mondiale…constante…

Le prix à payer pour les producteurs

La stratégie gagnante de l’Arabie Saoudite a un prix à court terme, pour son budget et ses finances, mais beaucoup moins élevé que ce qui a pu être écrit.
Le prix du baril divisé par 2 cette année par rapport à l’an dernier crée naturellement un substantiel manque à gagner. Le Ministre des finances du Royaume saoudien, Ibrahim al-Assaf, prévoit un déficit budgétaire cette année de 38 milliards de dollars (et qui pourrait être dépassé…) situation inédite depuis 2011 mais qu’il faut relativiser à l’échelle de réserves estimées à plus de … 700 milliards de dollars…
Le roi a même autorisé le recours à l’emprunt pour justement éviter de puiser par trop dans ces réserves. De l’autre côté de l’Atlantique, le développement des gisements de pétrole de schiste a principalement été le fait de producteurs indépendants. Cette exploitation étant très intensive en capital, ces indépendants ont eu recours à la dette obligataire afin de financer leurs opérations pour un montant total de…. 285 milliards de dollars au 1er mars 2015… ! (Aurélien Saussay, OFCE)

En dehors de cet aspect de financement, la baisse substantielle d’activité économique autour de la production du pétrole de schiste explique en partie le début d’année plus difficile que prévu de la croissance américaine en 2015, et donc les 2,5% probables au lieu des 3,5% prévus.

La réponse de l’Arabie Saoudite au développement de la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis, est centrée sur la protection de ses parts de marché, et sur une stratégie de volume, en s’inscrivant dans une politique de moyen-long terme.

Il faut donc regarder ces réalités pour pouvoir les analyser et y apporter un commentaire.
Cette stratégie ne pouvait produire les résultats escomptés immédiatement. Il fallait un peu de temps.
Les premiers signes apparaissent 8 mois après la décision de l’OPEP du mois de Décembre 2014…. Ce n’est finalement pas une très longue attente, pour voir la validation d’une stratégie mondiale ! Il faudra encore « un peu de temps » pour que le niveau de prix rejoigne les seuils souhaités par les producteur.