Ukraine : ces autres « ficelles » sous-estimées qui pourraient faire plier la Russie plus vite

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Article paru sur Atlantico le 13 mars 2022

Alors que les soldats russes poursuivent les combats contre l’armée ukrainienne, l’Occident a imposé des sanctions économiques contre la Russie. Qu’est-ce qui peut encore arrêter Vladimir Poutine ? Soutenir les Russes opposés au pouvoir au Kremlin ou aider la jeunesse, hostile à la guerre, peuvent-ils permettre de retrouver le chemin de la paix ?

Atlantico : Alors que les soldats russes poursuivent les combats contre l’armée ukrainienne, l’Occident a imposé des sanctions économiques contre la Russie. Qu’est-ce qui peut encore arrêter Vladimir Poutine ? Soutenir les Russes opposés au pouvoir au Kremlin ou aider la jeunesse, hostile à la guerre, peuvent-ils permettre de retrouver le chemin de la paix ?

Gérard Vespierre : Il y a des milliers d’armes qui sont arrivés en Ukraine via la livraison de missiles anglais, américains, allemands. Une situation similaire à ce qui s’est passé d’un point de vue militaire et tactique en Afghanistan pourrait être la réalité dans les prochaines semaines et des prochains mois. Les Etats-Unis et la CIA lors du conflit afghan avaient livré des missiles Stinger qui ont provoqué des ravages substantiels, permettant de détruire des hélicoptères et des véhicules blindés.

Les attaques ukrainiennes contre les troupes et les chars russes pourraient avoir un impact sur l’issue du conflit. La mort des soldats russes au front et le retour des corps en Russie auront un effet très négatif sur la population et pourraient faire évoluer le conflit. Les mères russes commencent à se poser des questions et à protester.

Il est donc possible d’aider la population russe à s’opposer au pouvoir.

L’effet des sanctions économiques va aussi être un atout et peser sur ce conflit. L’économie russe depuis ces huit dernières années a une croissance moyenne de 0,5%. Cela est notamment lié à la pandémie de Covid-19 et l’une des conséquences du choc pétrolier de 2014-2015. Le pétrole de schiste américain avait fait tomber les prix. Cela a eu une répercussion importante sur l’économie russe. Le niveau d’inflation avant la guerre était de 10 %. Cela ruine l’économie avec une inflation aussi élevée. La Russie va devoir contrer cette inflation alors qu’elle est dans un flux économique, monétaire, commercial classique. L’URSS vivait en autarcie et avait très peu d’échanges avec l’Occident. Avec les matières premières énergétiques, minérales (l’acier, l’aluminium), agricoles (le blé), la Russie a maintenant beaucoup d’échanges avec l’extérieur et une politique monétaire classique.

Quand l’inflation se développe dans un pays, la Banque centrale monte ses taux. Cela permet de compenser la fuite de la monnaie. Les taux occidentaux de la Banque centrale du Japon, de la Banque centrale européenne, américaine ou anglaise se situent entre 0 et 0,5 %. En Russie, en janvier 2021, le taux de la Banque centrale était à 4,25 %. En décembre 2021, suite à une nouvelle hausse, il se situait à 8,5 %. En février 2022, un point supplémentaire a été franchi avec le taux de 9,5 %.

Pour qu’un ménage russe achète un appartement, les prêts bancaires sont à 12-13 %. Il est donc très difficile d’acheter. Les entreprises ne peuvent pas non plus faire des investissements ou se procurer de nouvelles machines-outils.

La Banque centrale pilote l’économie. Mais avec la guerre, nous assistons à la fuite du rouble. La monnaie russe a perdu plus de 30 % de sa valeur en 4 jours. La dernière cotation à Moscou était de 144 roubles pour un euro.

Si l’on se reporte en 2013, juste avant les événements de Maïdan, le taux de change était de 40 roubles pour un euro.

Pour contrer cette dévaluation du rouble, qu’a fait la Banque centrale ? Elle a monté son taux directeur à 20 %. Les obligations d’Etat russes sont émises maintenant avec des taux d’intérêt de 24 %. Cela gèle complètement l’économie.

La Bourse de Moscou, créée en 1992 et qui n’existait pas du temps de l’URSS, est fermée 3 semaines. Avant qu’elle ne ferme, l’indice RTS est descendu à 932. Avant la guerre, il était à 1.420. L’indice de référence de la bourse de Moscou a donc baissé de 35 % dans les tous premiers jours de guerre. La Bourse a dévissé et n’a pas rouvert depuis. La valeur des entreprises, liée à leurs cours de Bourse, s’effondre. En revanche, les dettes des entreprises restent les mêmes. Il va donc y avoir un terrible déséquilibre entre la valeur des cotations à l’avenir et les dettes.

Les grandes entreprises russes peuvent avoir souscrit des emprunts en livre sterling, en euro ou en dollar. Mais comme le rouble a plongé, ces sociétés vont avoir besoin de 30 à 40 % de plus de roubles pour rembourser les emprunts. Il y a donc une double peine. Les grandes entreprises russes vont donc être très fragilisées sur le plan monétaire et financier. Certaines risquent même d’être au bord de la faillite.

Atlantico : Les critiques, les dénonciations et les sanctions se multiplient contre Vladimir Poutine et les oligarques mais la communauté internationale se rend compte qu’elle n’a pas les moyens de les faire céder rapidement. Qui sont les personnes qui pourraient réellement peser en Russie ? Faut-il jouer sur les soldats russes et d’autres membres de la chaîne de commandement ? Faut-il proposer de l’argent, des solutions de désertion, des passeports pour les inviter à quitter la Russie ? Quels sont les accélérateurs et les pistes envisageables ?

Gérard Vespierre : Il y a une fracture au sein de la jeunesse russe qui est opposée à la guerre. Les jeunes en Russie sont confrontés à une situation économique difficile. La jeunesse va être une composante qui va s’éloigner de plus en plus de l’image du chef de Vladimir Poutine et du système. La répression au sein de la Russie est terrible. La jeunesse est tournée vers la liberté.

Comme l’avait indiqué Antoine Sfeir il y a quelques années, « quand un pays perd sa jeunesse, le pouvoir en place a du souci à se faire ».

Il y a donc cette fracture au sein de la jeunesse russe. D’autant plus qu’une partie d’entre elle, très nationaliste, est satisfaite de voir que l’armée russe repart à la reconquête de l’Empire. Une autre frange de la jeunesse s’interroge sur cette campagne militaire dans laquelle des soldats russes vont assassiner leurs cousins ukrainiens.

L’intelligentsia russe a aussi un rôle à jouer. Beaucoup d’artistes, notamment au sein du Bolchoï, ont affiché leurs positions contre la guerre. Le monde de la culture et des figures médiatiques russes sont opposés au conflit.

Tout cela peut aider à lancer des pétitions et à maintenir la pression sur l’opinion dans les médias internationaux.

A l’intérieur de l’armée, il y a aussi forcément des militaires russes qui, après avoir vu une vingtaine de jours de combats, sont contre cette guerre car elle n’est pas bien menée et qu’il elle risque de nuire à l’image de la Russie. A l’intérieur du monde militaire, des fractures apparaissent également. Des responsables du FSB ont été sanctionnés et sont maintenus à résidence suite aux difficultés rencontrées par les troupes russes sur le front.

Des oligarques ont aussi exprimé leur désaccord avec cette offensive militaire, notamment Andreï Melnichenko, magnat multimilliardaire du charbon et de l’engrais. Il est possible de donner la parole à ces gens-là.

La motivation fondamentale des Russes peut être le dégoût de leur pouvoir face à cette guerre. Quand vous êtes dégoûtés d’un pouvoir, vous n’avez pas besoin d’incitations monétaires étrangères pour vous mobiliser.

Atlantico : D’un point de vue historique, est-il possible de tirer des leçons de la campagne de Napoléon en Russie pour tenter de trouver une issue au conflit entre la Russie et l’Ukraine ? Si Napoléon avait donné la liberté aux serfs lors de la campagne de Russie, ils auraient lâché le tsar. Un basculement similaire est-il envisageable en alertant la population russe ?

Gérard Vespierre : Depuis le début du conflit, il y a eu des reportages qui ont révélé que des Russes quittaient la Russie. Ils vont en Finlande, dans les Pays baltes. Il s’agit de personnes de la classe moyenne, qui ont une formation et qui parlent anglais.

Pour esquisser un parallèle entre les serfs du XIXe siècle et les cadres du XXIe siècle, il serait possible d’encourager les cadres russes à partir. Ces départs affaibliraient la Russie du futur.

La Russie est toujours confrontée également à son problème de démographie. 300 millions de Soviétiques vivaient en URSS. Nous sommes maintenant à 144 millions de Russes. Avant la fin de la décennie, la Russie devrait compter 140 millions d’habitants. Les courbes démographiques et la pyramide des âges est terrible. Les projections de population à moyen terme sur une période de cinq à dix ans sont infaillibles. Actuellement il y a plus de Français et d’Allemands réunis, que de Russes. Il y a 930 millions de citoyens libres sous le drapeau de l’OTAN. Dans le temps long, la Russie semble donc condamnée.

Cette guerre et ce que nous sommes en train de vivre va accélérer le déclin de la Russie.

La décarbonisation de l’économie va aussi occuper une place centrale et devenir un engagement politique. Les principaux pays à travers la planète ne veulent plus de gaz et de pétrole russes.

La religion peut aussi être un levier important pour ce conflit. Vladimir Poutine, orthodoxe et qui a son confesseur privé, lance des milices, les Tchétchènes, contre des Chrétiens orthodoxes ukrainiens. Comment l’ami du patriarche Kirill peut-il envoyer des Tchétchènes, musulmans, contre nos cousins et nos frères ? Telle doit être l’interrogation de beaucoup de Russes.

Atlantico : Quel pourrait être le rôle de l’Europe dans les négociations et dans la diplomatie ? Qu’aurions-nous à offrir pour faire plier la Russie au plus vite ?

Gérard Vespierre : L’envoi de missiles antichars peut être un atout dans cette guerre. Les Russes ne comprennent que le rapport de force. La figure du Tsar était également violente. Dostoïevski avait notamment écrit qu’un bon tsar est un tsar qui tue. La violence est donc institutionnalisée en Russie.

Les Russes commenceront à se poser des questions lorsque les colonnes de chars russes seront détruites. Les réserves, côté russe, vont diminuer et l’intérêt de cette guerre va alors se poser. La fissure au sein de l’univers militaire russe peut faire bouger les lignes.

Dans son rapport avec les oligarques, Vladimir Poutine distribue et répartit les clés du pouvoir et des ressources en attribuant des gisements de matières premières ou des usines. Cela contribue à un système de corruption.

Atlantico : Existe-t-il d’autres pistes qui sont sous-estimées ou qui ne sont pas encore évoquées dans le débat mais qui pourraient pour faire plier la Russie au plus vite? Qu’est-ce qui pourrait faire évoluer la situation qui paraît enlisée avec la guerre et les bombardements ?

Gérard Vespierre : La question militaire reste primordiale sur le court terme. Il y a des navires au large d’Odessa. Des missiles de type Exocet pourraient couler des bâtiments de la flotte russe. Cela serait une pression supplémentaire pour faire céder Vladimir Poutine comme avec le missile Javelin contre les chars russes.

Des cyberattaques sur des infrastructures russes peuvent également être un levier de pression sur la Russie pour faire cesser cette guerre. Mais cela risque de faire franchir des échelons dans la guerre et pourrait mener à une escalade dangereuse.

La Russie vient d’annoncer son recours aux armes hypersoniques. Cela permet aux Russes de faire une démonstration de leur technologie.

La diplomatie et les sanctions économiques s’inscrivent plus dans le long terme. L’Azerbaïdjan a notamment proposé du pétrole à l’Ukraine. Nous assistons à des divorces entre les anciennes républiques soviétiques et le Kremlin. Le Kazakhstan, aidé par la Russie et par le pouvoir de Vladimir Poutine, a autorisé une manifestation pro-ukrainienne. 2.000 personnes ont été autorisées à manifester. Il y a donc des failles diplomatiques qui peuvent être exploitées.